jeudi 18 juillet 2013

Réseaux de soins : les mutuelles vont-elles finir par sacrifier notre santé au profit de la maîtrise des coûts ? Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/reseaux-soins-mutuelles-vont-elles-finir-sacrifier-notre-sante-au-profit-maitrise-couts-nicole-delepine-567842.html#PqOA6M92px0Veio4.99



La loi sur les variations de remboursement en fonction des réseaux de soins a été adoptée par l'Assemblée nationale. Décriée par la droite et redoutée par l'extrême gauche, cette loi pourrait remettre en cause tout notre système médical.
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Nouvelle attaque en force du système de santé par l’adoption en première lecture du projet de loi à l’’assemblée nationale sur les réseaux de soins mutualistes fermés le 29 novembre 2012. Jusqu’où détruiront-ils notre pays ?
Ce texte est censé « permettre aux mutuelles de mieux rembourser les adhérents fréquentant les réseaux de soins mutualistes fermés ». C’est un nouveau coup porté à la médecine libre et responsable de ses décisions, au libre choix du médecin par son patient qui devra appartenir au réseau et à quel prix, à quelles concessions sera-t-il accepté dans le réseau ? C’est une mise en cause du libre choix du patient article 1111-1 du code de santé publique. C’est aussi une  attaque en règle du libre choix par le médecin du meilleur traitement pour le malade et dans la foulée de l’indépendance professionnelle qui reste un article du code de déontologie à ce jour. Pour appartenir au réseau il faudra accepter des contraintes, des limitations thérapeutiques en fonction de la complémentaire choisie. Comme pour acheter une voiture ou un canapé, vous pourrez obtenir en moins de 72 heures un devis sur vos exigences. Lorsque votre mère arrivera dans le coma aux urgences, on vous demandera si elle avait prévu l’hospitalisation en réanimation ou non. Une patiente raconte qu’aux Etats-Unis une assurance a proposé de rembourser pour son conjoint une euthanasie plutôt que poursuivre la chimiothérapie de prix  trop élevé pour le contrat d’assurance contracté. On vous change le pare-brise ou pas. C’est pareil pour le corps humain-marchandise. Est-ce cette médecine là que nous souhaitons en France ? Que ceux qui sont dubitatifs aillent sur les réseaux mutualistes fermés optique et dentaires seuls autorisés jusqu’à cette loi si elle est adoptée. Ils existent et vous proposent les devis en ligne. Ces réseaux qui servent de modèle à ce qu’on va nous imposer en médecine générale et spécialisée  pratiquent des remboursements différenciés selon que leurs adhérents fréquentent ou non leur réseaux agréés. Montures de basse qualité, implants venant de Chine et peu résistants, on peut tout lire sur les forums et tout imaginer, en tous cas toutes les astuces pour le prix de revient le plus faible et les bénéfices élevés ainsi que les dividendes aux actionnaires. Ne soyons pas naïfs, progressivement la part de la sécurité sociale dans le remboursement des soins de l’ordre aujourd’hui de 75% baisse et  le reste tombe dans le giron des mutuelles privées, structures rentables, valeur refuge des assurances en période de crise. Trop d’argent échappait à la Bourse, les dépenses maladie de sécurité sociale sont de l’ordre de 144 milliards d’euros annuels. Comment laisser cette manne financière restée en dehors des circuits boursiers ? Depuis deux décennies,  la guerre est ouverte pour privatiser la santé en France et  faire disparaître de fait la sécurité sociale que le monde entier nous enviait et  qui permettait de soigner tout un chacun avec tous les moyens disponibles sans égard pour ses ressources. C’est cette noblesse française qui  prend encore un énorme coup de massue avec la loi en cours d’adoption.

Une nouvelle fois, la finance guide la politique. Qui a cru élire un gouvernement de gauche ? La crise financière est difficile pour les assurances voiture, assurance vie et autres. Les complémentaires santé sont des valeurs refuge et même si elles sentent le souffle de la crise, elles sont très épargnées et bénéficient d’un coup de pouce majeur du gouvernement. La complémentaire santé est un marché rentable. « Avec une progression de 3,17 % en 2011, il génère de la croissance, il est très concurrentiel. Pour appâter le chaland, les opérateurs se livrent une véritable guerre.  Depuis dix ans, le marché de l’assurance santé a été pris d’assaut par les assureurs comme un BHV le serait un premier jour de soldes ».   [1] Il est l’un des seuls secteurs de l’assurance à générer de la croissance. Le chiffre d’affaires a atteint 30,6Mds d’euros en progression de 3,17 % en 2011. Le marché de la complémentaire santé s’explique par l’évolution démographique. La population française augmente, le nombre des personnes ayant besoin d’être couverts par une complémentaire aussi (en moyenne 700.000 retraités de plus chaque année et ces 700.000 non actifs sortent de leur contrat collectif pour se couvrir en individuel). Cette loi peut-elle créer une médecine à deux vitesses ou du moins accentuer ce phénomène s'il existe déjà ? Oui une catastrophe et je pèse mes mots. Les jeunes médecins qui défilaient dans la rue il y a quelques semaines ne s’y sont pas trompés. C’était leur principale revendication à juste titre. On a fait passer cela pour des revendications corporatistes. Jeunes, ils croyaient encore que la médecine pourrait s’exercer librement en France. Ils se trompent. La médecine agonise, les médecins laissent tomber, sont démotivés et vont au golf  ou se suicident (notre corps de métier a le plus haut taux de suicide, bien supérieur à celui chez France Telecom). Bien évidemment l’attaque contre le régime général de solidarité sur lequel reposait la sécurité sociale de 1946 est mis à mal et va entrainer des inégalités majeures en fonction de ce qu’on pourra s’offrir comme mutuelle. Un cadeau de noël de votre époux ou de vos parents bientôt ! C‘est bien une médecine à X vitesses qu’on nous concocte sous nos yeux incrédules. Cela  remet en outre profondément en cause l'interdiction de la publicité médicale  puisque les complémentaires sont sur internet avec des comparateurs de coût comme pour le voyages en avion ! Les médecins seront choisis selon leur docilité pour accepter d’adapter les prescriptions aux contrats choisis par les patients. Le nom de « médecin » sera-t-il encore approprié ? On fera comme à l’hôpital où dès 1984 le mot « praticien hospitalier » a remplacé « médecin des hôpitaux » en même temps que notre liberté de soigner fondait comme neige au soleil. Les mots disent les maux comme diraient nos amis psychiatres. La nouvelle loi veut autoriser les mutuelles à pratiquer des tarifs différenciés de remboursement au sein de réseaux de soins conventionnés. Ce n’est pas une entente avec les assureurs privés et les instituts de prévoyance, comme veulent le faire croire les mutuelles qui dominent le marché des complémentaires et dirigent la politique du secteur au travers de la ministre de la santé.  C’est une rupture historique dans le socle identitaire de notre système de santé au seul bénéfice des assurances privées souvent cotées en bourse. Elles s’intitulent « mutuelle » pour mieux nous tromper  et abuser les clients en leur faisant croire qu’elles sont sans but lucratif, comme les mutuelles d’autrefois. 
Les réseaux sont tellement délétères qu’ils attirent de gros problèmes juridiques. Notre ministre va arranger cela : promesse de campagne : une  loi pour éliminer une menace judiciaire en adaptant l’ancienne loi ! Ces réseaux déjà en place pour l'optique, le dentaire ou l'audioprothèse, sévissaient dans un environnement juridique instable. L'article L 112-1 du code de la mutualité stipule que : "les mutuelles et les unions visées au présent article ne peuvent instaurer de différences dans le niveau de prestations qu'en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés". La cour de Cassation, dans un arrêt du 18 mars 2010, avait remis en cause le principe même des réseaux mutualistes ! Elle avait interdit à une mutuelle de différencier les remboursements, pour une même prestation, entre les soins réalisés par des praticiens conventionnés et des praticiens non conventionnés. Certaines grandes mutuelles font face à de nombreuses assignations d'entreprises, de syndicats (pour l'optique) ou d'adhérents (pour le dentaire). Il devenait urgent de modifier l'article L 112-1 du code de la mutualité afin d'éteindre ce feu judiciaire. Cette loi sous son enrobage de service au patient vient aider les complémentaires à se faire plus de bénéfices et à se débarrasser des tracas juridiques. Elles peuvent remercier le pouvoir. Quelle légitimité des complémentaires santé pour conventionner les médecins et les établissements hospitaliers ? La part des complémentaires dans la prise en charge des dépenses de santé est de 13,9% au global,  de 5,3% pour les soins hospitaliers et 19% pour les honoraires de médecins en ambulatoire. Permettre aux mutuelles de constituer des réseaux d'établissements de soins (ou de médecins) alors que c'est la solidarité nationale, la Sécurité sociale, qui finance plus de 90% des dépenses hospitalières est infondé et illégitime. L’efficacité  des réseaux d’optique et dentaire est présentée comme argument imparable. La réalité est autre. Le bilan de plus de dix ans de réseaux conventionnés est contrasté. Environ un Français sur cinq renonce chaque année à des soins d'optique et dentaire pour des raisons financières, alors que les réseaux structurent plus de la moitié de ces deux domaines. Une étude de  Gallileo Consulting montre « que les porteurs de lunettes qui choisissent eux-mêmes leurs opticiens sont plus satisfaits de ses conseils, de la personnalisation de la prestation et du service après-vente que ceux qui suivent la recommandation de leur assureur ».   En dentaire, domaine de prédilection des réseaux fermés ,la seule mesure sérieuse de prévention dans les dernières années a été la prise en charge à 100% des bilans bucco-dentaires et soins consécutifs à 6, 9, 12, 15 et 18 ans par la... Sécurité sociale! La création de ces réseaux ne s'accompagne pas dans les faits d'une amélioration de l'accès aux soins et de la qualité des soins.
Une atteinte grave aux droits fondamentaux des patients et à la relation médecin-patients Nul ne peut raisonnablement contester que la différenciation des niveaux de remboursement, souvent supérieure à 30%, sur le seul choix de la mutuelle (pour les réseaux fermés) ou selon ses critères de sélection ne soit pas une entrave au libre choix des patients. Laisser penser que tous les actes médicaux peuvent se pratiquer à des prix bas sans conséquence sur la qualité est une supercherie. C'est donc incompatible avec le principe fondateur d'égalité d'accès aux meilleurs soins pour tous. La généralisation des réseaux entraînera mécaniquement une médecine à 3 vitesses au moins : la médecine d'assistance publique pour les plus défavorisés, la médecine de sous-qualité pour la majorité des adhérents et la médecine de haute qualité pour les plus favorisés (contrat de première catégorie avec reste à charge élevé). La logique de réseau déstructure la relation médecin-patient fondée sur la liberté (choix, prescriptions, installation) et la responsabilité professionnelle. On parle de déserts médicaux. C’est la France entière qui deviendra un désert médical si nous devons exercer cette médecine-là. Il restera les robots déshumanisés, dégoutés, désespérés ou indifférents. Dans un réseau, le patient est pénalisé s'il exerce sa liberté de choix et le professionnel de santé conventionné déresponsabilisé de la qualité de son acte qui doit d'abord répondre au cahier des charges du réseau dont le critère principal est le bas prix. Ainsi, le médecin ayant lourdement investi en équipement médical pour garantir des soins de première qualité et une sécurité maximum à ses patients est de facto exclu de la logique des réseaux. Ceci repose sur une logique de volume difficilement compatible avec la médecine de spécialités, comme la chirurgie, qui est constitué d'actes non répétitifs. Pour la médecine générale, la tendance est à une chute de la démographie médicale et à une généralisation du forfait par patients (à l’anglaise), ce qui va à l'encontre de la mise en place de réseaux. Une source de conflit majeur avec les fournisseurs de soins Tout professionnel ou établissement de santé pratiquant une médecine de qualité n'a aucun intérêt à ce que des réseaux leur "rabattent de la clientèle" en contrepartie de respecter des tarifs imposés par les assureurs. Cet esprit mercantile est d'ailleurs contraire à leur déontologie médicale. Leur réputation et leurs propres pratiques tarifaires, déjà très encadrées et adaptées au pouvoir d'achat de leurs patients, suffisent à constituer leur propre clientèle (sans aucune publicité). Les adhérents des mutuelles n'ont aucun bénéfice financier à la souscription du contrat (leur prime est la même avec ou sans réseau) et seulement un engagement de meilleur remboursement sur un service dont ils ne peuvent pas évaluer a priori le rapport qualité-prix, voire même sa disponibilité proche de chez eux. Quant à la collectivité, les réseaux n'ont pas démontré d'impact sur la maîtrise des dépenses et sur l'efficience du système de santé.
Les Etats-Unis, pays modèle et pionnier pour ces réseaux de soins, (HMO) ont fait la démonstration du caractère inflationniste et inégalitaire de ces réseaux de soins qui aboutit à une médecine à  plusieurs vitesses  Le type d’assurance maladie offert constitue d’ailleurs aux Etats-Unis un argument majeur de recrutement des cadres prometteurs. C’est au moment où la réforme Obama (tant décriée par les tenants des assurances privées)  vise justement à limiter les injustices de ce type en s’inspirant du modèle français de la sécurité sociale solidaire de 1946 qu’une ministre de gauche tente de nous faire franchir le chemin inverse ! Après le report de l'obligation de transparence des frais généraux des mutuelles qui dépassent souvent les 15% (alors que la sécurité sociale ne prélève que 7%)  octroyé par la ministre sans contrepartie pour les malades, la modification du code de la mutualité est une nouvelle mesure dont l'urgence se justifie avant tout par le respect d'un engagement présidentiel envers les mutuelles,.  Si les bénéfices de ces mesures pour l'assuré restent à démontrer, la tension et l'incompréhension qu'elles engendrent chez les fournisseurs de soins, au contact de millions d'assurés chaque jour, sont bien réelles et auront des conséquences pour tout le monde. Le succès de leur lobbying politique donne probablement actuellement aux mutuelles un sentiment de protection et de puissance. Cela ne rend pourtant pas leur nombre excessif (650 mutuelles santé soit 83% du nombre total d'assurances complémentaires pour 56% de part de marché) et leur opacité comptable (contraire à leurs valeurs fondatrices toujours affichée) plus compatibles avec l'environnement économique et social actuel. Un autre écueil rarement souligné est la menace sur le secret médical. Grand est le risque le risque de voir des informations personnelles très sensibles des adhérents sur internet. Comment les réseaux fonctionneraient ils autrement ? Or autant la commission informatique et liberté que la commission européenne dans sa directive  (qui doit être prochainement transcrite en droit français) n’y sont favorables sans précautions sécuritaires extrêmes. Aucun expert de mutuelle ne peut réellement assurer aujourd’hui (rappelons les pour mémoire piratages du pentagone, de la base de données de Sony). La conclusion ne peut aller qu’aux sénateurs et aux députés pour la deuxième lecture. Notre pays était au premier rang mondial de la santé en 1998 selon l’OMS. Après dix ans de destruction massive de notre médecine hospitalière avec l’avènement de l’hôpital entreprise fusions acquisitions et management entrepreneurial, notre système de santé est tombé dans la moyenne des pays de l’Europe en 2011 selon le haut conseil de santé publique. Au nom de tous vos électeurs qui vous ont accordé leur confiance, refusez d’’être au service de la finance internationale qui inspire cette loi  et sauvez notre médecine libérale. Que le mot libéral ou liberté signifie encore quelque chose en France. L’heure est très grave quand les valeurs d’humanité, de transparence et d’honnêteté  sont bafouées au quotidien.

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Atlantico, un vent nouveau sur l'info

Publié le 06 décembre 2012