jeudi 25 juillet 2013

Séance du 24 juillet 2013 (compte rendu intégral des débats) : version provisoire

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SOMMAIRE

(À suivre)
PRÉSIDENCE DE M. DIDIER GUILLAUME
vice-président
Secrétaire :
M. Jean-François Humbert.
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
PUBLICATION DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
M. le président. J'informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée le 20 février 2013, sur l'initiative du groupe socialiste, en application de l'article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 782.
3
RÉSEAUX DE SOINS
Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé (proposition n° 172, texte de la commission n° 776, rapport n° 775).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est peu dire que le texte dont nous allons débattre aujourd'hui a d'ores et déjà suscité de nombreux débats et fait couler beaucoup d'encre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Il s'agit en effet d'une proposition de loi importante pour ce qui concerne le champ d'intervention des complémentaires santé.
La discussion de ce texte intervient dans un contexte particulièrement opportun, puisque le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, le HCAAM, a adopté, il y a quelques jours, un rapport concernant l'évolution des complémentaires santé. Ces débats sont utiles, et même nécessaires, car ils doivent nous permettre – je le dis très clairement – de progresser encore sur le sujet majeur de l'accès aux soins de l'ensemble de nos concitoyens. C'est bien dans cette perspective que s'inscrit le Gouvernement.
Je veux souligner que cette proposition de loi diffère profondément de celle qui avait été présentée par M. Fourcade et dont le Sénat avait débattu. Dans le texte qu'ils ont élaboré à l'automne dernier, les députés ont souhaité clarifier le champ et les modalités d'intervention des réseaux de soins. Je tiens à saluer le travail approfondi réalisé par la commission des affaires sociales du Sénat, et tout particulièrement par son rapporteur général.
L'objectif de la proposition de loi est clair : je l'ai dit, il s'agit de renforcer l'accès aux soins de nos concitoyens, tout en limitant le montant qui reste à leur charge. L'accès de tous à des soins de qualité est une priorité. Cela implique d'abord de conforter l'assurance maladie obligatoire, qui est évidemment le socle fondamental et le pilier de notre système de protection sociale en matière de santé. Le fait que nous nous penchions aujourd'hui sur les conditions d'accès aux complémentaires santé et sur les modalités de contractualisation ne doit pas faire oublier que la clé de voûte de notre système est l'assurance maladie obligatoire. Il n'y a pas de contradiction entre les deux.
L'assurance maladie obligatoire se fonde sur un principe de solidarité entre les bien portants et les malades. Elle constitue ainsi un puissant facteur de réduction des inégalités. Pour autant, notre système de solidarité ne s'est jamais traduit par une prise en charge complète des soins. C'est dans ce contexte, et pour cette raison, qu'il nous revient de préciser la place des complémentaires santé. Celles-ci remboursent aujourd'hui près de 14 % des dépenses de santé, ce qui représentait près de 25 milliards d'euros en 2011.
Comme l'a souligné le HCAAM dans son avis du 11 juillet dernier, la couverture complémentaire de santé apparaît désormais comme un élément essentiel de l'accès aux soins, et notamment, mais pas uniquement, pour les dépenses qui sont moins bien remboursées par l'assurance maladie. Aujourd'hui, un certain nombre de nos concitoyens renoncent à se soigner, faute de complémentaire ou de couverture complémentaire de niveau suffisant. C'est le cas en particulier pour certains soins courants : en matière d'optique, par exemple, l'assurance maladie ne prend en charge que 4 % de la dépense totale des ménages.
Malgré la mise en place de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, dont le seuil – je veux le rappeler – a été relevé le 1er juillet dernier, 2,5 millions de personnes ne sont pas couvertes par une complémentaire. C'est pourquoi le Président de la République s'est fixé comme objectif « à l'horizon 2017 la généralisation de l'accès à une couverture complémentaire de qualité ».
Une première étape a été franchie avec la signature de l'accord national interprofessionnel, l'ANI, qui permettra à tous les salariés de bénéficier d'une couverture complémentaire dès que les conditions de sa mise en œuvre dans l'ensemble des branches seront réunies, c'est-à-dire au plus tard en 2016.
Il faut maintenant parvenir à généraliser les complémentaires au-delà du seul monde du travail, mais aussi réussir à mieux maîtriser les conditions de la mise en place des complémentaires. Pour les soins qui sont remboursés de façon privilégiée par les complémentaires santé, cela implique de développer des dispositifs de régulation adaptés. Les réseaux peuvent contribuer à cet effort de régulation. Ils permettent en effet aux adhérents des complémentaires santé de se soigner avec un reste à charge moins élevé.
Aujourd'hui, l'ensemble des complémentaires ne disposent pas des mêmes possibilités puisque, sur le plan juridique, elles n'ont pas toutes le droit de mettre en place des réseaux. C'est pourquoi le premier objectif de cette proposition de loi est de placer l'ensemble des complémentaires sur un pied d'égalité.
Les entreprises d'assurance et les institutions de prévoyance ont la possibilité de conventionner sans restriction. À l'inverse, les organismes régis par le code de la mutualité ne peuvent pas proposer à leurs adhérents des contrats intégrant ce type de dispositions. Il faut donc que la loi permette à l'ensemble des complémentaires de disposer des mêmes outils de régulation. En effet, il ne serait pas compréhensible que seules les mutuelles ne puissent pas recourir aux outils de régulation que constituent les réseaux de soins.
Cependant, pour pouvoir se développer, ces réseaux doivent être encadrés. Le travail réalisé par l'Assemblée nationale a permis de définir les principes et les règles qui doivent régir leur fonctionnement. Ces principes ont été précisés par la commission des affaires sociales du Sénat.
Le premier principe est le libre choix du patient. Il est au cœur du modèle de santé français. Nos concitoyens y sont profondément attachés, et il n'est évidemment pas envisageable de le remettre en cause.
Le deuxième principe est l'instauration de règles claires en matière de conventionnement. De telles règles font encore défaut aujourd'hui. Les conventionnements devront reposer sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. J'insiste, pour ma part, sur la transparence, car elle constitue un point clé de la légitimité des conventionnements. La transparence doit bénéficier à tous : aux professionnels, aux complémentaires et aux patients.
Les conventionnements ne pourront pas comporter de clause d'exclusivité. Il ne serait pas acceptable qu'un professionnel ne puisse conventionner qu'avec un seul réseau, car cela ne correspondrait pas aux besoins de la population. Un professionnel doit pouvoir prendre en charge l'ensemble des patients, en fonction des besoins de santé qu'ils expriment.
L'Autorité de la concurrence a déjà eu l'occasion de rappeler ces principes de transparence, d'objectivité et de non-discrimination : ils seront désormais inscrits dans la loi et deviendront donc opposables. C'est l'objet de l'article 2 de la proposition de loi.
Enfin, le troisième principe est le droit à l'information. L'organisme assureur devra veiller à ce que ses adhérents soient pleinement éclairés sur l'existence d'un conventionnement, sur ses caractéristiques ou encore sur les garanties de remboursement. Ce principe de transparence devra s'appliquer avant la conclusion du contrat et tout au long de son exécution. Le rapport annuel prévu par l'article 3 de la proposition de loi contribuera, lui aussi, à cette exigence de transparence.
La commission des affaires sociales du Sénat a souhaité préciser ces principes en rappelant que chaque professionnel devait à ses patients les mêmes modalités de délivrance des prestations de soins. De la sorte, le texte adopté par la commission rappelle le principe fondamental d'égal accès aux soins édicté par le code de la santé publique. Votre rapporteur général a cependant déposé un amendement visant à mentionner explicitement ce principe dans la proposition de loi.
Même si ce n'est pas nécessaire sur un plan strictement juridique – ce principe fondamental du droit de la santé figure déjà, je viens de le dire, dans le code de la santé publique –, cet amendement permettra de clarifier le sens du texte adopté en commission. Le Gouvernement y sera donc favorable.
La commission a également soulevé la question de l'existence du numerus clausus dans ces réseaux : le texte qu'elle a adopté tend ainsi à prévoir que tous les professionnels pourront conventionner avec les complémentaires santé dès lors qu'ils en respectent le cahier des charges, sauf pour l'optique, où des réseaux fermés peuvent être autorisés.
Cette question est complexe, car l'enjeu n'est pas tant de savoir si un réseau est ouvert ou fermé que de s'assurer que chaque adhérent peut accéder à des professionnels conventionnés à proximité de son lieu de vie. C'est notamment le cas – je sais d'ailleurs que nombre d'entre vous y sont particulièrement sensibles – dans les zones rurales.
Or il ne faudrait pas que, pour des raisons de densité de professionnels médicaux, la constitution de réseaux soit favorisée dans les secteurs urbains, au détriment des secteurs ruraux. Je souhaite que nos débats nous permettent d'approfondir ce point, car, je le répète, le fait d'opposer réseaux ouverts et réseaux fermés ne répond pas à cet enjeu.
Par ailleurs, je tiens à souligner qu'il nous appartient collectivement de veiller au respect des principes constitutionnels, en particulier celui de la liberté contractuelle, qui pourrait être remise en cause par l'interdiction de certaines formes de contractualisation. Prévoir dans la loi une interdiction des réseaux fermés pourrait être considéré comme une atteinte à ce principe constitutionnel. En outre, la souplesse des réseaux peut être essentielle pour faire face aux évolutions de notre système de soins et aux réalités du terrain.
Enfin, il s'agit de préciser le champ d'intervention de ces réseaux de soins, sujet qui a suscité de nombreux débats et de grandes inquiétudes. Comme l'a exprimé le HCAAM dans un avis récent, ces réseaux trouvent tout leur sens pour les soins dont les tarifs ne sont pas aujourd'hui suffisamment encadrés et pour lesquels la prise en charge par l'assurance maladie est limitée. C'est par exemple le cas des soins prothétiques dentaires, mais cela concerne aussi une large part des dispositifs médicaux, au premier rang desquels figurent l'optique et l'audioprothèse.
Néanmoins, soyons clairs : les tarifs de ces soins, fixés par voie conventionnelle entre les syndicats et l'assurance maladie, n'ont pas vocation à être régulés, et ne peuvent l'être, dans le cadre des réseaux, puisque la liberté tarifaire n'existe pas pour ces soins. Je pense en particulier aux soins paramédicaux.
L'examen par l'Assemblée nationale a également permis de préciser que les tarifs des actes médicaux ne pouvaient être encadrés par de tels réseaux : en effet, l'avenant n° 8 a fixé un cadre pour réguler les dépassements d'honoraires, comme le souhaitait fermement le Gouvernement.
La commission des affaires sociales du Sénat a complété ces mesures en précisant que ces actes médicaux ne pouvaient pas, dès lors, donner lieu à des remboursements différenciés dans le cadre de ces réseaux. Je veux le dire ici de façon très claire, c'est bien dans cet esprit que l'Assemblée nationale avait adopté ces dispositions. Pour les députés, il s'agissait de la conséquence logique de la rédaction qu'ils avaient adoptée. Néanmoins, il vous a paru utile de préciser ce point dans le texte que vous avez voté en commission. C'est sans doute une bonne chose que cette ambiguïté ait été dissipée.
Par ailleurs, la commission a souhaité expliciter et restreindre le champ des professions pour lesquelles les réseaux de soins peuvent comporter des stipulations tarifaires. Le texte adopté limite, en effet, l'encadrement des tarifs pour les actes remboursés par l'assurance maladie aux seuls professionnels pour lesquels les complémentaires sont majoritaires dans le financement, c'est-à-dire les opticiens, les audioprothésistes et les chirurgiens-dentistes. Nous pouvons en discuter, mais vous avez souhaité poser ce point de départ. De mon point de vue, si les complémentaires ont, à l'évidence, un rôle majeur à jouer là où l'assurance maladie propose actuellement un remboursement inférieur à 50 %, on ne peut pas déterminer la part que doivent prendre les complémentaires en fonction de ce qu'est aujourd'hui…
M. Jean-François Husson. Oui, aujourd'hui !
Mme Marisol Touraine, ministre. … leur part de remboursement. Cependant, on peut considérer qu'elles ont aussi un rôle de régulation à jouer dans des secteurs pour lesquels l'assurance maladie intervient de façon majoritaire. Je voulais apporter cette nuance entre mon appréciation et la vôtre, mais, en tout cas, je note qu'une proposition a été avancée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte contribuera directement à l'objectif de régulation de notre système de santé, puisque son adoption permettra de donner un cadre clair et transparent aux réseaux de soins.
La première des priorités, que nous partageons tous, c'est l'intérêt des patients. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour garantir à chacun le bénéfice de soins de qualité, et ce au meilleur coût. Nous devons donc faire en sorte de réduire les montants qui restent à la charge des patients.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée. En renouvelant mes remerciements à l'ensemble de la commission des affaires sociales, et plus précisément à M. le rapporteur général, je réaffirme la disponibilité du Gouvernement pour faire avancer la discussion de ce texte, dans le respect des principes que je viens de rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les ordonnances ayant créé la sécurité sociale en 1945 ont fixé un principe toujours d'actualité : la participation des patients à leurs propres dépenses de santé. C'est pour financer et mutualiser ce reste à charge que les organismes complémentaires d'assurance maladie, les OCAM, se sont développés. Aujourd'hui, ils versent environ 26 milliards d'euros de prestations – nous avons là une petite nuance d'appréciation avec Mme la ministre ! –, ce qui représente 13,7 % des dépenses de santé, tandis que la sécurité sociale continue d'en couvrir plus de 75 %.
Depuis 1945, la logique d'un complément permettant de couvrir les 20 % de ticket modérateur de l'époque et d'atteindre 100 % du tarif de la sécurité sociale constitue le fondement du développement des OCAM.
Or cette logique est dépassée dès lors que les remboursements de l'assurance maladie sont très faibles et que les prix sont libres, ce qui est le cas en optique, dans l'audioprothèse et pour les soins dentaires prothétiques, trois secteurs pour lesquels les remboursements des organismes complémentaires sont tout à la fois élevés et complètement déconnectés des tarifs de la sécurité sociale. Comme j'ai évoqué plus en détail ces secteurs dans mon rapport écrit, je n'y reviens donc pas.
En outre, malgré l'intervention des organismes complémentaires, les restes à charge – plusieurs centaines d'euros – sont lourds à supporter pour les patients. Qui plus est, la faculté des assurés de comparer et d'évaluer les offres qui leur sont faites est très réduite. Autant notre capacité à choisir une monture de lunettes est évidente, autant celle à sélectionner un type de verres est minime.
La dissymétrie entre l'information du patient et celle du professionnel est très élevée, alors même que les coûts sont peu transparents, puisque les prix d'achat des équipements et biens ne sont pas connus de l'assuré, et que le prix final varie sensiblement selon les produits, y compris dans une même gamme.
Dans ces conditions – liberté des prix et opacité de la formation de ces derniers –, comment accepter que les OCAM n'aient aucune marge de manœuvre et restent uniquement des financeurs aveugles ? Une telle voie serait tout bonnement irresponsable du point de vue des assurés eux-mêmes, lesquels sont amenés à payer in fine les cotisations.
Ainsi, il ne serait ni vertueux ni sain de restreindre les options que peuvent choisir les organismes complémentaires, à savoir soit l'augmentation des cotisations, soit la diminution des garanties contractuelles.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les OCAM ont mis en œuvre différents outils que l'on appelle parfois, dans le jargon de la sécurité sociale, « de gestion du risque ». Ces outils ont plusieurs finalités : mieux maîtriser l'évolution de la dépense et diminuer le reste à charge, mais aussi contrôler la qualité de la prestation, ainsi que conseiller et orienter les adhérents.
Ce qui est généralement appelé un réseau de soins constitue l'un de ces outils. Constitué au travers d'un contrat passé avec un professionnel ou un établissement de santé, et il repose sur deux instruments principaux, qui peuvent être utilisés simultanément : la négociation de tarifs plus avantageux et un meilleur remboursement pour l'adhérent quand il consulte à l'intérieur du réseau.
L'ensemble des études et rapports disponibles militent pour le développement des réseaux de soins. Pas plus tard que la semaine dernière, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a pris position en faveur du développement de ces réseaux dans le cadre du rapport demandé par le Gouvernement sur les organismes complémentaires.
Venons-en maintenant aux dispositions de la proposition de loi.
L'article 1er tend à placer les mutuelles sur un pied d'égalité avec les institutions de prévoyance et les sociétés d'assurance. Le code de la mutualité n'autorise les mutuelles à instaurer des différences dans le niveau des prestations qu'elles servent à leurs adhérents qu'en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés. En mars 2010, la Cour de cassation a interprété strictement cette disposition, ce qui empêche les mutuelles de rembourser différemment un adhérent selon qu'il consulte au sein du réseau ou non.
Or rien dans le code des assurances ou dans le code de la sécurité sociale n'interdit cette possibilité aux assurances et aux instituts de prévoyance. Il existe donc une rupture d'égalité entre les familles de complémentaires qui ne se justifie aucunement, puisque l'ensemble des OCAM sont en concurrence. Après un débat fourni, la commission a approuvé l'article 1er de la proposition de loi sans modification.
L'article 2 est essentiel : il tend à poser les bases d'un encadrement du fonctionnement des réseaux de soins. Ajouté lors des débats à l'Assemblée nationale, cet article vise à fixer les principes que doivent respecter les conventions entre les OCAM, quels qu'ils soient, et les professionnels ou établissements de santé. Je les rappelle ici : libre choix du professionnel ou de l'établissement par le patient ; critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour l'adhésion du professionnel ou de l'établissement à la convention ; absence de clause d'exclusivité.
L'Assemblée nationale a également ajouté que les conventions avec les médecins ne pouvaient pas inclure de stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations de la sécurité sociale, ce qui couvre les honoraires et les autres rémunérations découlant de la classification commune des actes médicaux, de la nomenclature générale des actes professionnels ou des conventions négociées avec l'assurance maladie.
Les OCAM devront fournir une information complète à leurs assurés sur l'existence d'un conventionnement, ses caractéristiques et son impact sur leurs droits.
Enfin, l'ensemble de ces règles s'appliqueront non seulement aux nouvelles conventions, mais aussi à celles qui seront simplement renouvelées.
Durant l'examen de cette proposition de loi, j'ai souhaité trouver un équilibre entre des objectifs et des contraintes qui peuvent parfois apparaître comme contradictoires. Je m'étais fixé une ligne de conduite : créer les conditions d'une diminution du reste à charge des patients.
Aujourd'hui, il n'existe aucun encadrement des réseaux de soins : les OCAM peuvent proposer à tous les professionnels, y compris les médecins, des contrats portant sur n'importe quelle question.
Rejeter la proposition de loi revient à accepter que prévale une liberté contractuelle totale entre les OCAM et les professionnels. Je crois au contraire qu'il relève de l'intérêt général et de notre responsabilité de poser les principes que doivent respecter les réseaux dans leur fonctionnement. Pour éviter les éventuelles dérives que certains mettent en avant aujourd'hui, il faut légiférer : c'est ce que permet cette proposition de loi.
Parallèlement, si nous imposons trop de contraintes, nous encourons le risque d'une censure par le Conseil constitutionnel : dans sa décision relative au projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, le Conseil a érigé les principes de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle à un niveau inattendu, justement au sujet des complémentaires santé.
Au-delà de l'argument constitutionnel, il ne me semble pas illégitime, je le répète, qu'un organisme complémentaire puisse maîtriser un tant soit peu des dépenses financées par les cotisations de ses adhérents, mais dans un cadre prudentiel respectueux des libertés de chacune et de chacun.
Telles sont les lignes de force qui ont guidé les travaux de la commission. Celle-ci a modifié le texte de l'Assemblée nationale sur trois points substantiels.
Tout d'abord, la commission a souhaité préciser le champ des professionnels concernés et l'étendue du conventionnement. Elle a préservé la possibilité pour les OCAM de conclure des conventions avec l'ensemble des professionnels et établissements de santé. En effet, ces conventions sont d'abord un outil dans la lutte contre les restes à charge. Qui plus est, certaines d'entre elles peuvent porter sur des sujets tout à fait consensuels et importants pour nos concitoyens, par exemple le tiers payant.
Cependant, tous les professionnels ne se situent pas sur le même plan du point de vue de l'assurance maladie : la plupart d'entre eux relèvent de conventions nationales, qui jouent encore un rôle moteur et prédominant dans la régulation du système de santé, qu'il s'agisse des médecins, des infirmiers, des sages-femmes, des masseurs-kinésithérapeutes, pour ne citer que ces exemples ; pour d'autres, les dépenses de l'assurance maladie sont aujourd'hui minoritaires et, parfois, aucune convention nationale n'est en vigueur.
Plutôt que de désigner uniquement les médecins, sans critère objectif particulier, nous avons décidé que, lorsque les dépenses de l'assurance maladie sont majoritaires, des conventions peuvent exister, mais ne peuvent pas porter sur des stipulations tarifaires liées aux actes et prestations fixés par l'assurance maladie.
Nous avons, en outre, précisé la rédaction de l'Assemblée nationale en ce qui concerne les médecins. Cette profession est la seule, avec celle des chirurgiens-dentistes, à pouvoir pratiquer, dans certaines conditions, des honoraires libres. Alors que le Gouvernement et l'assurance maladie ont engagé des travaux pour lutter contre ces dépassements – je pense en particulier à l'avenant n° 8 qui se met lentement en place –, nous avons privilégié cette voie et prévu que les conventions des organismes complémentaires ne pourront pas avoir pour effet de moduler les remboursements selon que le patient consulte dans un réseau ou non. Cette question ne se pose pas pour les autres professions – infirmières, sages-femmes masseurs-kinésithérapeutes, etc. –, puisqu'elles sont contraintes et ne peuvent dépasser les tarifs fixés par la sécurité sociale. Nous restons donc bien dans la logique de « complément » que j'évoquais au début de mon intervention.
Le deuxième sujet concerne les réseaux ouverts ou fermés. La démographie des chirurgiens-dentistes et des audioprothésistes est en pratique limitée soit par un numerus clausus explicite, soit par un nombre de places restreint en école. En outre, il ne semble pas qu'un risque de surpopulation soit établi dans ces deux secteurs à l'avenir. C'est pourquoi nous avons estimé qu'un réseau fermé n'y est pas nécessaire ; en pratique, il n'en existe d'ailleurs pas.
En revanche, la situation démographique des opticiens-lunetiers est plus préoccupante : chaque année, environ 2 000 nouveaux diplômés sortent des écoles et le nombre total de professionnels a déjà crû de 53 % depuis 2005 ! En l'état, ce rythme est insoutenable pour la profession qui va elle-même se retrouver dans de grandes difficultés. Un réseau fermé peut donc se justifier dans l'optique, pour des raisons démographiques. Pour accepter de modérer leurs tarifs, les opticiens doivent avoir l'espérance de recevoir un nombre significatif d'assurés, ce que seul un réseau fermé permet.
La commission a donc décidé d'interdire les réseaux fermés, sauf en optique : ce dernier secteur connaît une situation tout à fait particulière par rapport à celle des autres professions, ce qui justifie une mesure spécifique.
Enfin, nous avons inscrit un principe complémentaire à ceux qui ont déjà été posés par l'Assemblée nationale : les conventions ne pourront pas avoir pour effet d'introduire des différences dans les modalités de délivrance des soins, ce qui interdit une éventuelle discrimination selon que le patient bénéficie ou non de tel ou tel réseau. Je vous proposerai d'améliorer la rédaction du texte de la commission sur ce point.
En conclusion, mes chers collègues, si nous devons répondre à l'urgence consistant à placer sur un pied d'égalité les trois familles de complémentaires, nous devons aussi poser les bases d'un encadrement des réseaux de soins, encadrement aujourd'hui totalement inexistant. La commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans la rédaction résultant de ses travaux, tout en espérant que l'Assemblée nationale pourra alors l'approuver dans des termes identiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui définit les principes de fonctionnement des réseaux de soins constitués par les organismes complémentaires en santé, mutuelles, assureurs ou institutions de prévoyance. Ce sujet a fait l'objet de longs débats au sein de notre Haute Assemblée en 2011.
La proposition de loi déposée par M. Le Roux reprend, en effet, une des dispositions de la loi du 10 août 2011, dite loi Fourcade, modifiant la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. À l'époque, cette mesure avait été insérée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, afin de donner la possibilité aux mutuelles de mieux rembourser leurs adhérents, lorsque ces derniers faisaient appel à un prestataire de santé membre d'un réseau de soins avec lequel elles avaient conclu un contrat.
Après sa suppression par le Sénat, sur l'initiative de plusieurs membres de la commission des affaires sociales – et pas uniquement de son rapporteur ! –, un compromis avait été trouvé lors de la commission mixte paritaire, consistant en une expérimentation très encadrée d'une durée de trois ans. L'article correspondant avait finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, qui l'avait considéré comme un cavalier législatif.
Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir quelques instants sur la méthode employée.
Tout d'abord, j'observe que cette proposition de loi présentée par le président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale ne devait pas être une priorité pour le groupe socialiste du Sénat, puisqu'il ne l'a jamais inscrite dans la moindre de ses « niches parlementaires » depuis son adoption par l'Assemblée nationale, le 28 novembre 2012 !
Quelle urgence y avait-il à examiner ce texte en fin de session extraordinaire, un 24 juillet ? Est-ce une réponse à certaines mutuelles pour qu'elles finissent par accepter l'ANI ? Je vous rappelle que la généralisation de la complémentaire santé au sein de chaque entreprise a mis en émoi de nombreux intervenants de l'économie de l'assurance santé. Plusieurs d'entre eux avaient parlé de milliers d'emplois supprimés et de la liquidation de plusieurs mutuelles.
En ce qui concerne la procédure, je tiens à rappeler que l'obligation de procéder à une étude d'impact existant pour les projets de loi ne s'applique pas aux propositions de loi. En outre, sur un sujet aussi important, il aurait été utile, avant que le Parlement ne se prononce, de solliciter le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie afin d'obtenir un éclairage précis sur la prise en charge par les organismes complémentaires d'assurance maladie du reste à charge.
J'en viens au fond : alors que j'étais rapporteur de la loi Fourcade, j'avais rappelé qu'offrir un meilleur remboursement aux adhérents qui se font soigner par un professionnel conventionné par un réseau de soins s'inscrit non pas dans le cadre du conventionnement de ce dernier, mais bien dans celui des relations entre les adhérents et les mutuelles. À ce jour, je reste convaincu qu'une modulation de la prise en charge des prestations, selon que le patient choisit ou non de recourir à un professionnel de santé membre d'un réseau, va à l'encontre des principes de notre système de santé, fondé notamment sur l'équité et le libre choix du patient, et ne résout pas nécessairement la problématique du reste à charge.
Les mutuelles appellent de leurs vœux cette pratique qui leur est interdite par le code de la mutualité, à la différence des autres organismes complémentaires d'assurance maladie. À la suite de deux récents arrêts de la Cour de cassation, qui leur a rappelé cette interdiction, elles veulent une modification législative pour rétablir, disent-elles, l'égalité de la concurrence. Or, dans l'un de ses jugements, la Cour de cassation souligne que les plaignants « n'avaient pas de choix libre entre un orthodontiste non conventionné à leur porte et un conventionné à 45 kilomètres ». La mise en place de ces réseaux ne règle donc en rien le problème des déserts médicaux et pourrait même l'aggraver !
Cette proposition de loi vise, en réalité, à étendre une pratique déjà développée. Sans doute est-ce le signe d'une perte de pouvoir : de plus en plus souvent, le politique court après l'existant et cherche à trouver des solutions après coup, voire à se poser les questions une fois la législation en place.
M. Jean-Noël Cardoux. Très juste !
M. Alain Milon. Nous l'avons tous fait et nous le faisons tous !
Les questions que nous pouvons légitimement nous poser sont les suivantes : comment ce conventionnement fonctionne-t-il ? Avec quels résultats ? Quels sont exactement le rôle et la nature des réseaux de soins ? Quelles sont les exigences de qualité imposées aux contractants et comment leur respect peut-il être contrôlé ? N'y a-t-il pas un risque de favoriser le low cost ? Nous n'avons aucune réponse à toutes ces questions ; de ce fait, nous pensons qu'une réflexion globale sur ces réseaux est nécessaire avant toute évolution de la loi.
Cette proposition de loi, même amendée par le rapporteur général, dont nous pouvons approuver l'analyse, ne nous satisfait pas sur plusieurs points.
Avec des réseaux de soins, les cotisants qui s'adressent à des praticiens hors réseau n'auront plus droit aux mêmes remboursements que ceux qui consultent dans le réseau. Cette inégalité n'est pas acceptable à nos yeux : introduire une différence de remboursement conduit inévitablement à une rupture d'égalité entre les Français face à l'accès aux soins.
Ce texte remet en cause un principe essentiel : à cotisations égales, remboursements et prestations égaux. Il met donc en péril le principe même de la liberté de choix du patient. L'inscription d'une mention garantissant la liberté de choix n'est malheureusement pas une assurance dans la pratique. Certes, le patient aura toujours le choix : celui d'être remboursé ou de ne pas l'être !
En outre, le conventionnement et la constitution de réseaux représenteront un coût non négligeable, poussant inéluctablement à la concentration qui se fera au détriment des petites mutuelles, et donc du pluralisme mutualiste.
Enfin, organiser l'offre de soins en réseaux mutualistes risque de contribuer à accentuer la désertification médicale de certaines zones, les réseaux en question ayant tendance à se concentrer dans les centres urbains. Le texte de la commission exclut les médecins, mais quid des autres professionnels de santé ?
Nous avons donc déposé des amendements pour améliorer ce texte.
En premier lieu, nous pensons que l'État doit prendre ses responsabilités pour veiller aux conditions de négociation de ces conventionnements, pour définir les principes qui doivent les régir et pour en assurer la transparence et l'harmonisation. C'est pourquoi nous proposons qu'un décret en Conseil d'État, pris en concertation avec les professionnels concernés, fixe les règles de conventionnement.
En outre, nous sommes opposés aux réseaux fermés. Formons-nous trop d'opticiens ? Dans les années quatre-vingt, alors que l'on craignait une explosion du nombre de médecins, un numerus clausus avait été mis en place : aujourd'hui, on déplore une pénurie ! Il appartient au législateur de trouver une solution pour financer l'ensemble des soins dus à l'ensemble de la population, plutôt que de laisser le champ libre aux uns et aux autres.
Je l'ai souvent dit, mais je veux le rappeler : il y a une trentaine d'années, nous parlions de centrales d'achat et nous constatons aujourd'hui la disparition des petits commerces, des agriculteurs, etc.
Ces réseaux me font penser, avec le recul du temps, à l'installation de ces centrales d'achat ! Ce sont eux qui dicteront le prix. Nous avons commis l'erreur de croire que ce système ferait baisser les prix. Or si un OCAM dirige l'ensemble, il imposera ses vues et ses tarifs.
La mise en place d'un numerus clausus est de nature à générer des difficultés d'accès aux soins par un système de captation des patients et des professionnels de santé sur le territoire. Il est important, à nos yeux, de faire respecter le caractère ouvert de ces réseaux et le principe du libre choix du professionnel et de l'assuré. Surtout, il nous paraît choquant de mettre une seule et unique profession dans les réseaux fermés. Comment pouvons-nous accepter que des organismes privés fixent un numerus clausus ?
Enfin, le texte de la commission exclut expressément les médecins des remboursements modulés. Pourquoi ne pas exclure toutes les professions de santé ? En l'état actuel du texte, nous craignons que les professions de santé ne soient de plus en plus contrôlées, évaluées et, finalement, régies par les OCAM.
Vous l'aurez compris, le sort réservé à nos amendements conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, portant sur un sujet dont nous sommes familiers depuis la loi Fourcade, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui suscite un débat toujours aussi passionné, sans doute en partie du fait d'un lobbying soutenu !
M. Philippe Bas. S'il vous plaît, un peu de respect !
Mme Sophie Primas. Cela suffit !
Mme Laurence Cohen. De quoi s'agit-il au juste ? En effet, ce texte a non pas pour objet de créer des réseaux de soins mutualistes, puisqu'ils existent déjà, mais de leur permettre de déroger à une règle majeure du code de la mutualité, laquelle interdit, à ce jour, aux mutuelles de procéder à des remboursements différenciés autres que ceux autorisés en fonction de la nature du contrat souscrit et de la situation de famille des adhérents.
Or les autres opérateurs complémentaires que sont les assurances privées et les instituts de prévoyance pratiquent déjà de tels remboursements différenciés. La Mutualité française a donc fait valoir que cette situation générait une concurrence déloyale, préjudiciable aux mutuelles.
Progressivement, depuis 1992, sous l'impulsion de textes réglementaires, législatifs et communautaires, les règles applicables aux mutuelles et aux assurances privées commerciales tendent à s'uniformiser, ce qui a malheureusement des conséquences négatives pour les œuvres sociales des mutuelles. Qu'il s'agisse de la séparation des deux livres, de l'application de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance, de l'assujettissement des mutuelles à l'impôt sur les sociétés ou de l'application des règles prudentielles figurant dans les plans Solvabilité I et II, tout converge vers une assimilation totale des mutuelles aux assurances privées commerciales. Au point que, en 2004, la loi relative à l'assurance maladie a créé l'Union nationale des organismes d'assurance maladie, l'UNOCAM, comme si tous les acteurs la composant avaient un intérêt commun à agir…
Or l'intérêt des assurances privées commerciales, comme des instituts de prévoyance, réside moins dans la satisfaction des besoins en santé des populations que dans la maximisation des profits générés par ces groupes.
Compte tenu des objectifs officiellement portés par le mouvement mutualiste, vous comprendrez donc que nous nous étonnions de l'existence de ce regroupement.
Cette interrogation, mes chers collègues, nous la portons également sur cette proposition de loi qui contribue, comme l'article 1er de l'ANI, à remettre en cause l'architecture de notre système de santé en modifiant le partage entre la solidarité nationale, supportée par la sécurité sociale, et le champ d'intervention des complémentaires santé, dont personne n'ignore qu'elles relèvent des moyens de nos concitoyens.
Nous partageons naturellement avec le rapporteur général, avec nos collègues du groupe socialiste, ainsi qu'avec le Gouvernement, un certain nombre de constats. Nous divergeons, toutefois, sur les réponses.
Pour eux et pour la majorité d'entre vous, mes chers collègues, l'adoption de cette proposition de loi aura pour effet de réduire le prix des lunettes, des soins dentaires et des appareillages auditifs dans la mesure où les mutuelles pourront négocier des tarifs plus avantageux pour leurs adhérents.
Autrement dit, les mutuelles seront autorisées à agir comme des centrales d'achat, opérant une forme de régulation des prix par le marché. Cette approche libérale ne nous convainc pas. Et parce que nous considérons que la santé n'est pas une marchandise, nous nous opposons à ce que les prix des secteurs précités soient fixés, comme n'importe quel autre produit, en fonction de la loi de l'offre et de la demande.
Afin que les prix baissent réellement et pour tous, y compris pour celles et ceux de nos concitoyens qui sont « trop riches » pour bénéficier de la CMU et trop pauvres pour souscrire une mutuelle, le groupe CRC souhaite que les prix des soins visés dans cette proposition de loi soient, comme cela est le cas pour les médicaments, encadrés par les pouvoirs publics. Et pourquoi pas, d'ailleurs, par le Comité économique des produits de santé lui-même?
En outre, certains considèrent que, grâce à l'adoption de ce texte, les mutuelles pourraient veiller sur la qualité des prestations concernées.
Cette affirmation tend à jeter un doute sur le sérieux des pouvoirs publics quant au niveau d'exigence de conformité et de sécurité auquel nos concitoyens peuvent légitimement prétendre.
Qui plus est, cette affirmation tend à laisser croire que, là encore, le marché permettrait d'apporter un encadrement hors de portée des pouvoirs publics. Pourtant, les médicaments, qui contribuent, eux aussi, à améliorer l'état de santé de nos concitoyens, font l'objet d'une veille sanitaire et qualitative qui dépend non des mutuelles, mais bien des pouvoirs publics. Le scandale récent des prothèses PIP conforte notre analyse sur le besoin d'intervention forte des pouvoirs publics.
Enfin, face à l'insuffisance notoire des remboursements de la sécurité sociale sur les soins et appareillages optiques, dentaires et auditifs, vous proposez, plutôt que de renforcer la sécurité sociale, de généraliser la concurrence entre opérateurs complémentaires. Or, si la sécurité sociale n'est pas en capacité de mieux rembourser certaines dépenses de santé, c'est qu'elle est victime d'un pillage généralisé qui ne cesse de s'étendre !
Dernier exemple en date, l'article 1er de l'ANI, qui a pour effet de retirer 2,5 milliards d'euros de ressources à la sécurité sociale pour encourager le patronat à souscrire des complémentaires, ce qui coûte annuellement à la sécurité sociale 6,5 milliards d'euros.
Naturellement, l'UNOCAM et le patronat y trouvent leur compte, puisque, rappelons-le, le MEDEF ne cesse de demander la réduction du champ de la solidarité au profit d'une généralisation de la concurrence dans le domaine de la protection sociale. Et pour cause ! La participation des employeurs au financement des régimes complémentaires est, en effet, bien moins importante que celle qui est destinée à financer la sécurité sociale.
Le patronat ne manquera d'ailleurs pas de se réjouir de cette proposition de loi, ainsi que du projet de directive européenne élaboré par la Commission européenne dont l'article 76 vise à instituer le respect de l'égalité de traitement entre tous les opérateurs économiques.
Chacun l'aura compris, le maître mot de notre débat est donc bien celui de concurrence !
Nous regrettons sincèrement que, pour permettre aux mutuelles de faire jeu égal avec les assurances privées lucratives, on nous propose une rupture avec l'ADN de la mutualité, poussée à s'aligner sur le secteur marchand. Pourquoi ne pas avoir fait le choix inverse ? Il s'agit, en quelque sorte, d'abandonner encore un peu plus le mutualisme !
Notre groupe est très dubitatif sur cette fuite en avant, qui consiste à renoncer toujours un peu plus à des réformes de fond et à laisser les règles du jeu entre les mains non pas des politiques, mais des acteurs économiques.
On prend en otage les patients, en faisant croire que c'est à eux que l'on pense d'abord. En réalité, c'est un marché de dupes, on oublie toutes celles et tous ceux qui ne peuvent pas souscrire à une mutuelle, faute de moyens. Et, surtout, on obère le glissement qui se fait de plus en plus fortement non pas vers un remboursement solidaire, mais vers un remboursement à la carte selon la nature du contrat !
En résumé, c'est pour nous, au travers de cette proposition de loi, un rendez-vous manqué avec une loi qui aménage à la marge un système chaque jour davantage meurtrier pour la sécurité sociale.
Notre groupe s'est interrogé sur son vote, comme il le fait à chaque fois, mais, face à la prolifération des assurances privées et afin de tenir compte de la situation des patients, il a choisi de s'abstenir, une abstention marquée – vous l'aurez compris ! – par une analyse très négative de cette proposition de loi.(Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Qu'est-ce que vous auriez dit si vous aviez voté contre !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réseaux de soins existent depuis plus de dix ans. Ils ont leur utilité, notamment pour développer la pratique du tiers payant. Il n'est donc pas question ici de les remettre en cause en tant que tels.
En conséquence, l'objet de cette proposition de loi est non de réformer globalement les réseaux de soins, mais principalement d'en encadrer l'une des modalités, celle du remboursement différencié.
Il convient donc, d'emblée, d'établir une distinction claire entre, d'une part, les réseaux de soins et, d'autre part, la prestation différenciée. C'est ce qui nous amène au véritable sujet du texte : permettre aux mutuelles de pratiquer des remboursements différenciés au sein desdits réseaux.
On le sait, la question se pose parce que, dans sa rédaction actuelle, le code de la mutualité interdit explicitement aux mutuelles de moduler leurs prestations en faveur de leurs adhérents ayant recours à un professionnel de santé membre d'un réseau de soins.
La Cour de cassation a rappelé les mutuelles au respect de cette interdiction par un arrêt du 18 mars 2010. Cette jurisprudence constante, nous l'interprétons comme un appel au législateur, un appel d'autant plus légitime qu'aucune interdiction comparable ne s'impose aux deux autres catégories de complémentaires santé que sont les instituts de prévoyance et les assurances.
L'objet de ce texte serait donc de rétablir l'égalité sur ce point entre mutuelles, d'une part, et instituts de prévoyance et assurances, d'autre part, et ce dans un contexte de concurrence évidemment exacerbée par la généralisation de la complémentaire santé salariale mise en place par la loi de sécurisation de l'emploi.
La mesure semble donc légitime. Elle est, d'ailleurs, recommandée de toutes parts, de la Cour des comptes au Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
À vrai dire, nous n'entrerons pas dans ces considérations. Il ne nous appartient pas de défendre tel ou tel opérateur face à tel ou tel autre. Notre rôle de législateur est de défendre l'intérêt général, en l'occurrence celui de l'assuré, du patient : le seul enjeu pour nous est que chacun, quels que soient ses revenus, même et surtout les plus modestes, puisse avoir des lunettes ou se faire poser une prothèse dentaire au meilleur prix, c'est-à-dire avec un reste à charge le plus bas possible.
Le développement du remboursement différencié sert-il cet objectif ? La réponse est, pour l'instant, affirmative. Si nous répondons ainsi, c'est parce que les avis autorisés convergent. L'Autorité de la concurrence et la Cour des comptes concluent que le reste à charge est, en moyenne, inférieur, au sein des réseaux.
Observons tout de même que ce résultat n'est pas uniquement le fait du remboursement différencié. Il se combine avec la négociation de tarifs plus avantageux pratiqués par les professionnels conventionnés.
Schématiquement, l'augmentation des volumes et une certaine standardisation permettent une baisse des coûts de fourniture répercutée d'abord dans les prix, puis dans la bonification du remboursement. Selon ce schéma vertueux, il n'est pas irrationnel de compter sur le remboursement différencié pour contribuer à faire baisser le reste à charge à l'avenir, à condition, bien sûr, que son développement n'ait pas d'effets pervers préjudiciables à l'assuré !
Pour cela, un certain nombre de conditions doivent être réunies. J'en énumérerai quatre.
Premièrement, il ne faudrait évidemment pas que le remboursement différencié conduise à une augmentation du reste à charge pour les assurés qui n'auraient pas la possibilité de recourir à un professionnel de réseau.
Autrement dit, la prestation différenciée doit demeurer une bonification de remboursement au sein du réseau, et non se transformer en pénalité pour les autres. Le seul moyen d'éviter cela est de garantir un remboursement minimal de toute prestation. Notre groupe a préparé un amendement sur ce point très difficile, on le sait. Je pense que Jean-Marie Vanlerenberghe interrogera Mme la ministre sur ce sujet. Une réponse rassurante nous ferait plaisir.
Après avoir réglé la question de la quantité, se pose la deuxième question clé, celle de la qualité des prestations : comment la garantir dans les futurs réseaux de soins ?
Sur ce point encore, le texte a été amélioré en commission. Il tend à prohiber toute discrimination dans la délivrance des soins entre assurés. Comment, toutefois, garantir en amont la médicalité des conventions elles-mêmes ? Certes, les cahiers des charges sont élaborés en concertation avec les professions médicales concernées, puis contrôlés par l'Autorité de la concurrence. Mais ces professions ne sont pas des autorités médicales extérieures à l'accord et l'Autorité de la concurrence n'est pas une autorité médicale du tout.
Nous voulions, là aussi, défendre un amendement visant à faire certifier la médicalité des cahiers des charges par la Haute Autorité de santé, par exemple. Après réflexion, cela ne nous a pas paru possible. Nous souhaiterions que le rapport annuel d'évolution des conventionnements soit un moyen de contrôler la médicalité de ces conventions avec une année de retard. Autrement dit, nous aimerions que la clause de trois ans ne soit pas respectée et que le rapport ait définitivement un caractère annuel.
Troisièmement, il ne faudrait pas que la liberté de l'assuré de choisir son prestataire se trouve, de fait, entamée.
On ne cesse de répéter que l'assuré restera libre. Bien sûr ! Mais si la paire de lunettes est remboursée 50 euros en un lieu et 200 euros ailleurs, pour la plupart des assurés, le calcul sera vite fait… Et que faire si l'opticien conventionné est loin ? Cela pose la question de l'accès à des soins de proximité. Vous l'avez dit, madame le ministre, en filigrane ressurgissent le spectre de la désertification médicale et le débat sur les réseaux ouverts et fermés.
Bien entendu, seuls les réseaux ouverts sont susceptibles de garantir la meilleure accessibilité géographique aux soins. C'est pourquoi nous ne pouvons que saluer l'effort d'amélioration entrepris par notre rapporteur général en la matière. Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales précise en effet que, par principe, les réseaux constitués seront ouverts, à l'exception notable des opticiens-lunetiers.
Mme Isabelle Debré. Une exception non acceptable...
M. Gérard Roche. Nous entendons bien l'argument justifiant cette exception, liée à la démographie particulièrement dynamique de la profession. Il est cependant nécessaire que les réseaux d'optique demeurent ouverts au moins pour les opticiens installés en zone rurale, où ils ne sont pas si nombreux, pour garantir un accès de proximité.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Gérard Roche. Songeant à ce monde rural, j'avais rédigé un amendement dans le coin d'un pré de Haute-Loire. (Sourires.) Il tendait à introduire une exception à cette règle pour les communes de moins de 5 000 habitants. J'ai toutefois pris de la hauteur lors de mon retour à Paris, mes collègues m'ayant expliqué qu'il y avait aussi des villes de cette taille dans les banlieues et à proximité des grandes agglomérations. (Mme la ministre opine.) Ma proposition est donc tombée à l'eau...
J'ai déposé, en revanche, un sous-amendement à un amendement présenté par M. le rapporteur général tendant à prévoir, à l'alinéa 3 de l'article 2, le respect des exigences de proximité dans l'accès aux soins.
Quatrièmement, se pose aussi la question du champ des accords tarifaires et du remboursement différencié, lesquels ne doivent être mis en œuvre que dans les domaines où la sécurité sociale est majoritairement absente. Il s'agit de l'optique, dont 4 % seulement sont remboursés par la sécurité sociale, de l'audioprothèse, remboursée par l'assurance maladie à hauteur de 14 % environ, et de la prothésie dentaire, remboursée en moyenne à 15 %. Ces domaines correspondent à la fourniture de matériels médicaux. Tout le reste doit en être exclu, c'est-à-dire les domaines mixtes de fourniture de services et de prestations médicales conventionnées par l'assurance maladie, sous peine de porter une atteinte sérieuse et dangereuse au conventionnement de base.
Encore une fois, notre commission a amélioré le texte sur ce point clé, en proscrivant les accords tarifaires non plus pour les seuls actes des médecins, mais aussi pour ceux de toutes les professions conventionnées, ainsi que les remboursements modulés, mais pour les seules prestations des médecins.
Nous nous sommes donc arrêtés au milieu du gué. Il faudrait aller un peu plus loin ; nous vous proposerons donc un amendement en ce sens.
Globalement, notre position sur ce texte dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements. Il semble, à cet égard, que la discussion s'annonce constructive.
Pour conclure, je ne peux que saluer l'exceptionnel travail de notre commission, et en particulier celui de notre rapporteur général, Yves Daudigny, qui a saisi l'occasion d'un rééquilibrage du code de la mutualité pour élaborer un cadre législatif transversal à tous les réseaux de soins.
Je souhaitais également vous remercier, madame la ministre, d'avoir annoncé que vous étiez ouverte à tous les débats à venir sur ce sujet important.
Nous allons peut-être franchir aujourd'hui une étape, mais la route est encore longue...
Par-delà ces réseaux, le problème de fond qui se pose est celui du champ de la sécurité sociale. Après tout, si nous débattons de cette question, c'est bien parce que celle-ci s'est progressivement désengagée de l'optique, du dentaire et de l'audioprothèse, en ne revalorisant jamais sa nomenclature. C'est pourquoi le présent texte, qui tend à y remédier, est important.
Aujourd'hui, l'assurance maladie se refuse à traiter tant la médecine de confort que la dépendance. Or l'une et l'autre sont intrinsèquement liées ! La perte de la vue, de l'ouïe et tous les déficits sensoriels sont des portes d'entrée, trop souvent négligées, dans la dépendance, bien avant la déficience cognitive. Quand nous l'aurons compris, nous aurons, à mon sens, fait un grand pas vers la redéfinition du champ de l'assurance maladie.
Une grande course nous attend, dont nous n'avons parcouru qu'une étape ; d'autres nous attendent, avec de rudes cols à franchir. Il faudra bien graisser le pédalier ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, encore aujourd'hui, nombre de nos concitoyens renoncent à se soigner ou retardent leurs soins pour des raisons financières. C'est d'autant plus vrai s'agissant des soins très faiblement remboursés par la sécurité sociale.
Les élus de la République ne peuvent être indifférents à cette situation. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté, dans le cadre de la loi relative à la sécurisation de l'emploi, la généralisation de la couverture complémentaire santé à l'ensemble des salariés. Il s'agissait d'une véritable avancée. Car si le financement par la sécurité sociale reste élevé, force est de constater que, depuis une trentaine d'années, il diminue au profit de la couverture complémentaire, qui prend à sa charge 26 milliards d'euros, et il est très inégal selon le type de soins ou de prestations. Alors que l'assurance maladie prend en charge plus de 90 % des soins hospitaliers, la prise en charge des soins dentaires, de l'optique ou des audioprothèses est particulièrement réduite, comme l'a rappelé très justement le rapporteur général. Il en résulte un reste à charge important pour les patients.
C'est dans cet esprit que les auteurs de la présente proposition de loi ont souhaité, notamment, sécuriser le fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles.
Nous ne sommes pas opposés au principe de la mise en place de réseaux de soins qui reposent sur la combinaison d'engagements réciproques : les organismes complémentaires garantissent à leurs adhérents de bénéficier de tarifs plus avantageux, en échange de quoi ils les orientent vers les professionnels de santé avec lesquels ils ont négocié, assurant ainsi à ces derniers d'étendre leur clientèle.
Le conventionnement entre organismes complémentaires et professionnels de santé permet ainsi de réguler les prix et de limiter le reste à charge pour les assurés. En ce sens, c'est une excellente chose, et nous ne pouvons qu'approuver cet objectif.
Je le répète, nous sommes favorables à l'idée même d'organiser le secteur des complémentaires, notamment pour l'optique, le dentaire et l'audioprothèse, domaines dans lesquels l'absence de régulation publique et l'opacité tarifaire empêchent le consommateur de faire réellement jouer la concurrence.
Tous les acteurs publics qui ont étudié la question reconnaissent que les réseaux de soins améliorent l'accès aux soins, diminuent le reste à charge des adhérents à prestation équivalente et offrent un accompagnement aux usagers dans leurs démarches. Pour autant, ce texte soulève quelques inquiétudes au sein de la majorité comme de l'opposition.
Certains sont ainsi réticents à reconnaître le bien-fondé d'une modulation des prestations qui ne sont pas indispensables au bon fonctionnement des réseaux. Des membres de mon groupe avaient d'ailleurs exprimé cette crainte en juillet 2011, lors de l'examen de la proposition de loi Fourcade.
L'accès de tous les Français à des soins de qualité est une priorité absolue pour le Gouvernement. C'est un objectif que nous partageons tous. Mais, comme l'a rappelé notre collègue Gilbert Barbier en commission des affaires sociales, ce texte n'est pas anodin. Il bouleverse foncièrement les principes fondamentaux de l'organisation des soins dans notre pays en permettant aux mutuelles d'opérer une différenciation dans le remboursement des prestations. Surtout, il remet en cause le principe « à cotisations égales, prestations égales ».
Certains soutiennent qu'il y a urgence à mettre sur un pied d'égalité les trois familles d'organismes de protection sociale complémentaires. Dans son arrêt du 18 mars 2010, la Cour de cassation a pourtant rappelé que l'interdiction faite aux mutuelles de pratiquer des modulations dans le niveau de prestations avait pour contrepartie d'autres avantages, et que les mutuelles n'étaient pas placées en situation de concurrence défavorable par rapport aux autres organismes complémentaires d'assurance maladie.
Faut-il rappeler que, s'il y a atteinte au principe d'égalité, ce n'est pas entre les différents organismes complémentaires qu'il faut la chercher, mais bien entre les adhérents ? Ceux qui s'adresseront à des professionnels hors réseau seront moins bien remboursés que ceux qui consulteront dans le réseau.
N'est-il pas à craindre, également, que la possibilité de mettre en place des réseaux fermés soit une atteinte au principe d'égalité ? Certes, le rapporteur général a souhaité limiter cette possibilité au seul secteur de l'optique. Pour autant, comment accepter que des professionnels qui répondent aux critères soient écartés du réseau ?
Les conséquences seront dramatiques pour ces praticiens et pour nos concitoyens qui vivent en zone rurale. Nous savons bien que les opticiens qui ne pourront pas bénéficier d'un conventionnement verront leur chiffre d'affaires baisser et pourraient, à terme, disparaître.
Conserver le maillage territorial est nécessaire. Il faut maintenir ces praticiens de proximité qui font le choix et l'effort de s'installer en milieu rural. Ils sont indispensables aux personnes qui vivent loin des centres urbains, dont nous savons pertinemment qu'ils concentrent l'essentiel des réseaux.
S'agissant de la liberté de choix des patients, vous avez affirmé, madame la ministre, que ce droit fondamental était assuré. Toutefois, on peut légitimement se demander si la modulation de la prise en charge selon que le praticien fait partie ou non du réseau de soins ne remet pas en cause ce principe, dès lors que les assurés seront fortement incités, via les remboursements différenciés, à consulter les praticiens appartenant à un réseau. Nombre de nos concitoyens n'auront pas d'autre solution que de faire le choix le moins onéreux. Dans ces conditions, peut-on réellement parler de liberté de choix du patient ?
Ce texte soulève enfin la question de la qualité des produits. Il est à craindre que les organismes complémentaires privilégient le critère financier par rapport au critère de qualité, imposant de ce fait l'importation de prothèses fabriquées à bas coût, par exemple en Chine. Cette inquiétude se justifie d'autant plus que le contrôle des professionnels de santé sera organisé par les organismes eux-mêmes, qui rémunèrent les contrôleurs.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, je voterai en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous attendons tous avec impatience des discussions de fond sur la nécessaire réforme du système de santé.
De ce point de vue, les prochains débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à l'automne, puis sur la nouvelle stratégie nationale de santé et le projet de loi sur lequel vous travaillez, madame la ministre, seront des rendez-vous extrêmement importants.
Nous sommes en effet très préoccupés par le déficit de la sécurité sociale et le désengagement du régime obligatoire de certaines pathologies, d'une part, et par les inégalités d'accès aux soins, les dépassements d'honoraires et les autres restes à charge difficiles à supporter par nos concitoyens les plus modestes, d'autre part. Nous souhaitons donc insister sur la nécessité de réfléchir, plus globalement, à une politique de prévention et de promotion de la santé publique.
La proposition de loi que nous examinons traite de ces problématiques, mais de manière très partielle. La question des restes à charge y est abordée de façon détournée et coupée des autres grands enjeux de santé, ce qui rend le débat assez difficile : on nous demande de trancher sur un sujet précis, alors qu'il faudrait des réformes plus profondes.
Sur les difficiles questions des tarifs non régulés et des soins peu remboursés par la sécurité sociale, une intervention publique et un travail législatif forts sont nécessaires. Il s'agit en effet d'un problème grave, qui concerne nombre de nos concitoyens.
Le groupe écologiste défend le secteur de l'économie sociale et solidaire. Nous serons d'ailleurs actifs lors de l'examen du projet de loi qui sera présenté à la rentrée par Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation.
Ce secteur, dans toute sa diversité, est important et précieux à la fois pour l'économie, l'emploi, la démocratie et la solidarité. Nous espérons d'ailleurs que les mutuelles y joueront pleinement leur rôle. Il est important, entre autres choses, qu'elles restent attachées aux valeurs essentielles, et par là même précieuses, de l'économie sociale : la coopération et la solidarité.
Par ailleurs, il faut éviter que la taille critique nécessaire à la gestion de tels réseaux incite les mutuelles à se concentrer encore davantage, comme semblent le redouter certains des orateurs qui m'ont précédée. Nous avions déjà signalé lors de l'examen de la clause de désignation incluse dans l'accord national interprofessionnel, que risquaient de se perdre, du coup, les qualités du mouvement mutualiste que sont la proximité et la diversité. Pour notre part, nous serons vigilants.
Actuellement, les mutuelles ne sont cependant pas sur un pied d'égalité avec les autres organismes complémentaires, qu'il s'agisse du système assurantiel ou des sociétés de prévoyance. Cette situation pose problème.
La Mutualité française nous indique que les mutuelles souhaiteraient avoir les mêmes possibilités en termes de réseaux de soins, pour obtenir une diminution du reste à charge pour leurs adhérents, sans baisse de la qualité des produits ou des soins.
Cette possibilité accordée aux mutuelles de créer des réseaux de soins ne peut être donnée que sous certaines conditions strictes. Elle suppose un encadrement qui a déjà été aménagé lors des débats à l'Assemblée nationale. La commission des affaires sociales a adopté plusieurs amendements allant dans ce sens.
Le respect de certaines exigences sont en effet nécessaires, elles ont déjà été rappelées : le maintien du libre choix des patients et des professionnels, la transparence, c'est-à-dire l'existence de critères objectifs et non discriminatoires, une large publicité des critères d'entrée dans le réseau et des conventionnements, une information publique étendue des adhérents sur le contenu des négociations et des conventions et l'absence de clause d'exclusivité.
Enfin, un amendement adopté par l'Assemblée nationale, renforcé par un amendement voté par la commission des affaires sociales du Sénat, dont l'objet nous semble indispensable, vise à prévoir un bilan annuel sur la base d'un rapport du Gouvernement. Ce bilan approfondi doit permettre d'évaluer si les soins prodigués et les produits fournis sont de qualité, si les mutuelles ont bien obtenu une baisse des restes à charge pour leurs adhérents, si les opticiens, chirurgiens-dentistes et audioprothésistes engagés dans ces réseaux de soins ont, eux aussi, consenti un effort de baisse des prix.
Pour mon groupe, le maintien de ces conditions est absolument nécessaire pour que le texte soit acceptable et que nous l'approuvions. Le débat qui va suivre conditionnera donc notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est aujourd'hui soumis est une proposition de loi, ce qui honore le Parlement. Il doit permettre en toute légalité aux mutuelles relevant du code de la mutualité d'offrir à leurs adhérents le bénéfice du conventionnement avec un certain nombre de professions de santé, notamment à travers le réseau de soins.
Par principe, je suis favorable à ce texte. Cela rejoint la position qui avait été la mienne lors du débat sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, puisque j'avais également appelé à une saine et juste concurrence entre les différents acteurs.
Les réseaux de soins s'inscrivent dans le prolongement du conventionnement engagé dans les années quatre-vingt-dix par les organismes complémentaires d'assurance maladie avec un certain nombre de professionnels de santé, principalement avec les pharmaciens. À l'époque en effet, l'un des objectifs principaux était de développer le tiers payant.
Cette pratique s'est ensuite développée avec les organismes complémentaires et d'autres professionnels de santé pour que ces derniers cessent d'être en quelque sorte des payeurs aveugles après l'intervention des régimes obligatoires. Les régulateurs comme les professionnels de santé se sont efforcés d'améliorer la pertinence et la qualité des soins pour faire en sorte que la maîtrise des dépenses ne se traduise pas par une réduction de la prise en charge des patients.
Nous constatons depuis vingt ans la réussite de ce dispositif, les chiffres le démontrent. Les réseaux de soins conduisent bien à une maîtrise des coûts, qui ne cessent d'augmenter ; ils permettent également, lorsque les acteurs le souhaitent, le développement du conseil aux assurés, notamment sur le tarif, comme des enjeux de prévention et d'assistance.
Cette proposition de loi ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt et occulter un enjeu d'une autre ampleur. Il me paraît grand temps d'ouvrir le chantier de notre système de protection sociale, d'aborder la question de son essoufflement, de la rénovation de notre système de santé et, donc, des enjeux liés à la sécurité sociale pour tous les Français. C'est, je pense, le préalable à une réflexion de fond entre tous les acteurs sur l'organisation de notre système de santé pour demain.
Comment permettre l'accès de tous à la santé par une prise en charge du régime obligatoire et des organismes complémentaires ? Est-il par exemple normal que, pour certaines dépenses de santé, la part des régimes obligatoires soit si faible ? Quelles relations entretiendront demain l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires ? Quel sera le rôle des complémentaires santé et quelle place occuperont-elles ? Quelle sera la fiscalité qui leur sera appliquée ? Quelle place faut-il accorder aux contrats responsables ? Comment notre système de santé répondra-t-il à l'avenir à l'exigence d'égalité des territoires – égalité d'accès comme de moyens – tant pour les usagers que pour les professionnels de santé ? Faut-il évoquer les réflexions et les propositions émises récemment par le Conseil d'analyse économique sur le panier de soins ?
Vous en conviendrez, bien des questions se posent à chacun de nous aujourd'hui. Certes, cette proposition de loi n'a pas vocation à y répondre, mais nous ne pouvons durablement les ignorer. Il est de notre devoir, me semble-t-il, de nous atteler à la tâche, chacun dans son domaine de compétences et d'expertise, avec nos concitoyens, pour faire évoluer et progresser notre système de santé vers davantage d'équité, de sécurité et de justice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Madame la ministre, vous l'avez rappelé, la priorité du Gouvernement, c'est l'accès de tous à des soins de qualité. Pour garantir cet accès aux soins, le pilier fondamental, c'est l'assurance maladie obligatoire. Il n'est donc pas question de remettre en cause ce dispositif, garant d'un système de santé solidaire. Il faut le répéter pour faire taire l'une des objections sans fondement à la proposition de loi que nous discutons aujourd'hui.
Si cette proposition de loi n'a pas vocation à régir l'accès aux soins dans son ensemble, elle constitue cependant une étape importante, puisqu'elle nous offre l'occasion de commencer à fixer les règles du jeu entre les réseaux et les organismes complémentaires.
Aujourd'hui, nous devons d'abord répondre à l'urgence de combler un vide juridique et modifier le code de la mutualité pour acter le principe de conventionnement mutualiste et mettre ainsi sur un pied d'égalité les trois familles d'organismes de protection sociale complémentaires : mutuelles, instituts de prévoyance et sociétés d'assurance. En effet, cette possibilité, remise en cause par un arrêté de la Cour de cassation de mars 2010, insécurise les mutuelles qui encourent des condamnations à brève échéance.
Or, depuis la mise en place de réseaux de soins dans les secteurs où la prise en charge de l'assurance maladie est faible – soins dentaires, optique, audioprothèse –, on observe une baisse des tarifs de 30 %, de 40 %, voire de 50 %, ce qui permet l'accès des ménages modestes à des soins majeurs.
La légalisation des réseaux de soins mis en place par les mutuelles depuis une vingtaine d'années dans les secteurs où l'assurance maladie s'est le plus désengagée est une promesse de campagne de François Hollande, parce qu'elle favorise les conditions d'un meilleur accès de tous à des soins de qualité et au meilleur coût.
La loi Fourcade de 2011 avait tenté, dans son article 22, de légiférer dans le même sens et n'avait pas alors suscité d'oppositions de fond. Pourtant, elle n'apportait pas les garanties que ce texte présente et que j'évoquerai dans un instant.
Depuis dix ans, les politiques de santé mises en œuvre par la précédente majorité ont mis à mal la protection des Français en réduisant le périmètre des solidarités nationales, avec les réformes successives sur les participations forfaitaires, les franchises médicales et la diminution du taux de remboursement de certains médicaments. Ce désengagement a entraîné le développement de la prise en charge par les organismes complémentaires, en premier lieu par les mutuelles.
Les organismes complémentaires prennent aujourd'hui en charge 13,7 % des dépenses de santé, soit 26 milliards d'euros, ce qui légitime des politiques de gestion du risque et des partenariats avec les professionnels et des établissements de santé, comme l'a rappelé la présidente de la commission des affaires sociales à une autre occasion.
Si le socle reste et doit rester – j'insiste ! – l'assurance maladie obligatoire, les complémentaires existent et il n'a jamais été question que la sécurité sociale constitue l'élément exclusif du système. Encore faut-il que toutes les complémentaires de santé soient placées dans une situation identique. Or les mutuelles regroupent à elles seules 38 millions d'usagers : elles font partie de l'histoire de la solidarité et ont toute légitimité pour être des acteurs à part entière et agir dans le domaine des réseaux de soins, avec les effets positifs que l'on relève.
L'objectif des réseaux de soins est de faire pression sur les prix pour diminuer le reste à charge pour les patients, dans un contexte où 10 % à 15 % de nos concitoyens disent avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, en particulier dans les secteurs que j'ai précédemment cités.
La réduction du reste à charge pour le patient doit bien être le fil conducteur de nos orientations en matière de protection sociale, et tout ce qui peut y participer doit être encouragé.
La proposition de loi que nous présentons aujourd'hui a été enrichie par notre assemblée pour répondre aux craintes que nous avons entendues. Les grands principes qui la sous-tendent et garantissent la régulation et la transparence de ces réseaux ont été précisés.
Ainsi l'article 2 nouveau définit-il le cadre juridique des réseaux de soins, quel que soit leur statut. Il précise que les conventions conclues ne peuvent porter sur le niveau des tarifs pratiqués par le médecin pour les actes et prestations qui sont remboursés par l'assurance maladie obligatoire dans le cadre des conventions médicales nationales. Il interdit les clauses d'exclusivité ; il indique que le réseau ne peut porter atteinte au libre choix du patient et qu'il doit reposer sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires de sélection des professionnels, vous l'avez rappelé, madame la ministre. Il garantit une information claire et complète des adhérents sur les caractéristiques des soins mis en place par sa complémentaire, ainsi que sur l'impact sur les garanties souscrites. Le patient pourra donc choisir, en toute connaissance de cause, son praticien et connaître le montant de son remboursement.
L'article 3 nouveau prévoit que, à compter du 30 juin 2013, un rapport annuel adressé au Parlement par le Gouvernement analysera les conséquences de la mise en place des réseaux de soins quant à la qualité des prestations offertes et à l'amélioration de l'accès aux soins des assurés concernés.
Afin d'aller encore plus loin, la commission des affaires sociales de notre assemblée a adopté plusieurs amendements du rapporteur général. Ainsi, nous devrons nous prononcer sur la possibilité pour les organismes complémentaires de « contractualiser avec les professions de santé », sans que les conventions comportent de clauses tarifaires, hormis pour les chirurgiens-dentistes, les opticiens et les audioprothésistes.
Les conventions avec les médecins ne pourront avoir pour effet une modulation du remboursement et les conventions entre les mutuelles et les professionnels ne pourront entraîner de discriminations dans la délivrance des soins.
Enfin, les réseaux de soins seront ouverts à tous les professionnels remplissant les conditions fixées, sauf pour l'optique où la démographie justifie le recours à cet outil de régulation. On observe, en effet, dans ce secteur une forte croissance des magasins d'optique avec 47 % de points de vente supplémentaires par rapport à 2000. Or cette croissance excède largement l'augmentation des besoins médicaux de la population et entraîne une sous-productivité qui se traduit dans les marges brutes prélevées par les opticiens.
Grâce à la précision apportée par le rapporteur général, cet article tendra également à affirmer qu'être dans un réseau de soins ne revient pas à être favorisé pour l'accès aux soins.
Aussi, la majorité des membres de mon groupe votera ce texte qui, tout en donnant une base juridique à des réseaux existants et opérants, ce qui est son objectif principal à court terme, dissipe les inquiétudes qu'il a suscitées, particulièrement celles qui concernent l'inclusion des médecins dans le dispositif, l'aliénation du choix des patients et la crainte d'une moindre qualité des prestations.
La future grande loi de santé publique auquel nous travaillons viendra en son temps répondre à tous les enjeux majeurs de l'organisation de notre système de santé. Elle nous permettra de débattre du sujet global de la régulation de l'offre de soins dans notre pays, pour que les générations à venir continuent à bénéficier d'une protection sociale juste et solidaire et d'un accès aux soins qui ne soit pas régi seulement par une logique de marché. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en 2012, le Président de la République, à l'occasion de son discours devant le congrès de la Mutualité française, a rappelé avec force la place des mutuelles au sein de notre système de protection sociale. Il s'était livré, dans son intervention, à une analyse très approfondie de notre système de protection sociale et de notre système de santé, en affirmant que le seul objectif était de garantir un égal accès à des soins de qualité à l'ensemble de nos concitoyens.
C'est dans ce cadre qu'il a pris l'engagement de permettre aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soins, tels que définis dans la présente proposition de loi, à l'heure où les mutuelles se trouvent dans une situation d'inégalité à l'égard des compagnies d'assurance complémentaires et des caisses de prévoyance.
C'est dans cet esprit d'approche globale de notre système de protection sociale que nous devrions aborder l'examen de ce texte.
Je remercie M. le rapporteur général de son analyse approfondie du fonctionnement de notre système de protection sociale. Il a mis en évidence l'importance du système complémentaire : ce secteur représente à lui seul 26 milliards d'euros, à mettre en regard des 138 milliards d'euros de financement public, soit 13,7 %  des dépenses totales de santé, alors que les mutuelles y participent à hauteur de 55 %.
Je le remercie par ailleurs de nous avoir rappelé que trois secteurs très différents présentent deux points communs : des prix libres et des remboursements de l'assurance maladie très minoritaires. Je veux parler des soins dentaires, de l'audioprothèse et de l'optique, en rappelant, concernant ce dernier domaine, le caractère symbolique de l'intervention de l'assurance maladie à un taux d'environ 4°% au regard des 45°%° financés par les systèmes complémentaires.
Nous ne pouvons nous satisfaire de ce constat, et il n'y a pas de fatalité à ce qu'il perdure. Loin de moi la volonté de faire preuve d'un angélisme béat. Aussi, je ne réclame pas aujourd'hui, malgré le déficit de l'assurance maladie, de contribution supplémentaire – même si la question reste d'actualité. Je considère, en revanche, qu'il est indispensable que l'assurance maladie participe activement au débat sur les conditions d'existence des réseaux.
L'exigence de qualité au meilleur prix, les conditions d'accessibilité aux meilleurs soins quel que soit le territoire, les procédures de traçabilité, l'évaluation des dispositifs médicaux proposés, l'information et la responsabilisation de nos concitoyens sont des sujets essentiels.
L'assurance maladie, si péremptoire dans son ordonnance d'économie afin de réduire son déficit – je pense notamment à ses préconisations concernant la prise en charge des pathologies thyroïdiennes et des cancers de la thyroïde – ne peut s'exonérer de ses responsabilités, alors que, par exemple, 30 %  de nos jeunes de moins de vingt ans souffrent de problèmes de vision et portent des lunettes.
Je remercie, enfin, les complémentaires et les mutuelles d'avoir pris la responsabilité de s'investir avec compétence dans ce débat ô combien fondamental.
Les complémentaires ont mis en place des réseaux de soins et se sont, de fait, autorégulées. Je ne vais pas leur en faire grief ; leur rôle est essentiel. Néanmoins, j'estime que les pouvoirs publics doivent participer à l'évaluation de la qualité du dispositif proposé. Ils doivent également être vigilants quant à la façon dont les conventions sont passées entre les usagers et les organismes complémentaires. Nous avons d'ailleurs débattu de cette question ce matin en commission et nous y reviendrons très certainement.
Monsieur le rapporteur général, vous avez accompli un travail considérable de réécriture des articles 1er et 2 de la proposition de loi, en particulier en mettant l'ensemble des complémentaires à un même niveau de droits et de devoirs. Vous avez également largement amélioré le concept de réseau de soins.
Pour autant, lorsque vous inscrivez dans le texte la possibilité d'existence de réseaux fermés pour l'optique, arguant d'une offre qui, du fait de son abondance, mérite régulation, le débat reste, à nos yeux, ouvert. Il s'agit d'une réalité, mais des tarifs différenciés de remboursement heurtent l'exigence d'un traitement égalitaire pour nos concitoyens, même si le libre choix de ces derniers est clairement acté.
À titre personnel, je ne suis pas favorable à ces réseaux fermés, et j'ai pu constater que, au sein même de la Mutualité française, les avis divergeaient sur cette question. Je relève par ailleurs la chaleur, la qualité et la sincérité des relations que j'ai pu entretenir avec les différents acteurs de la Mutualité. Et vous pouvez imaginer qu'ils ont été nombreux !
A mon sens, si surabondance d'offre en matière d'optique il y a, elle doit être traitée en amont, notamment au stade de la formation, avec la possibilité par exemple de proposer des formations complémentaires aux étudiants. La démographie médicale des ophtalmologues pose en effet problème dans beaucoup de nos territoires.
Madame la ministre, nous connaissons votre énergie, votre compétence et votre détermination. Vous travaillez aujourd'hui sur de nombreux sujets, parmi lesquels l'évolution des contrats solidaires et responsables. Notre débat aurait pu s'inscrire dans ce cadre.
Malgré le travail très important accompli par M. le rapporteur général, je regrette l'approche encore trop contrainte, en matière d'organisation des réseaux de soins, de cette proposition de loi.
Aussi, je ne participerai pas au vote du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de santé, le renoncement aux soins est un phénomène de plus en plus prégnant. Pour preuve, en 2010, 32,6 % des personnes qui n'étaient pas couvertes par une complémentaire santé déclaraient avoir renoncé à des soins pour des raisons pécuniaires.
Dès lors, il n'est pas surprenant de constater que, dans le cadre de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale qui s'est tenue l'hiver dernier, le groupe de travail sur la santé et l'accès aux soins préconisait une extension de la couverture maladie universelle, de la CMU complémentaire, ainsi qu'un accès aux complémentaires santé à des coûts maîtrisés pour les plus démunis.
Par conséquent, la fragilisation et la paupérisation croissantes d'une frange importante de la population conduisent à faire de l'accès aux soins une problématique vive, qui se pose à l'échelon du continent européen lui-même. En guise d'illustration, comment ne pas mentionner la Grèce, pays dans lequel la crise économico-sociale a conduit à la résurgence de maladies que l'on pensait depuis longtemps disparues ?
Bien entendu, toute comparaison abusive me ferait tomber dans l'inanité. Notre système de santé n'a pas été autant affecté par les politiques d'assainissement budgétaire que celui de l'État hellénique. Pour autant, d'autres funestes fléaux, tels que la désertification médicale, participent au creusement des inégalités territoriales et renforcent les difficultés d'accès aux soins.
Or l'intérêt de la présente proposition de loi réside précisément dans l'apport d'une solution à ces entraves. Il s'agit de permettre aux mutuelles d'être en mesure d'améliorer l'accès aux soins de leurs affiliés en régulant les secteurs inflationnistes ou ceux qui sont délaissés par l'assurance maladie, c'est-à-dire les secteurs où les mutuelles trouvent une légitimité pour intervenir.
Aujourd'hui, la part des remboursements des complémentaires santé est majoritaire en matière d'optique, de soins dentaires et d'audioprothèse. À titre d'exemple, en moyenne, l'assurance maladie rembourse 4 % des frais d'équipement en optique, quand les organismes complémentaires prennent en charge 45 % de cette dépense. Autrement dit, un reste à charge singulièrement élevé pour le patient demeure; ce qui explique d'ailleurs, dans une large mesure, le renoncement aux soins que j'évoquais précédemment.
Sans revenir exhaustivement sur les dispositions du texte, parfaitement présentées, d'ailleurs, par M. le rapporteur général, la pratique du remboursement différencié selon le cas où les patients recourent à un professionnel de santé conventionné ou non, dans les conditions, strictes, fixées par la présente proposition de loi, est de nature à diminuer le reste à charge des adhérents et, donc, à améliorer leur accès aux soins.
Par ailleurs, ai-je bien entendu et saisi les arguments des pourfendeurs de la modulation du remboursement sur le fondement du conventionnement mutualiste ? La liberté de choix du praticien par le patient serait, paraît-il, entravée. En réalité, il s'agit ici d'un postulat spécieux : l'incitation financière visant à faire appel à un professionnel de santé membre d'un réseau de soins n'est en aucun cas une obligation. La nuance est donc de taille, et il faudra veiller à ce que la couverture territoriale du réseau soit, naturellement, la meilleure possible.
D'autre part, d'aucuns ont également mis en exergue le fait que la qualité des équipements fournis serait de moins bonne facture dans les réseaux de soins. Or, en l'espèce, la constitution de tels réseaux n'aurait aucun sens si elle aboutissait à une détérioration de ladite qualité. Au contraire, il semble que l'encadrement des appels d'offre afférents à la procédure d'adhésion aux conventions ainsi que le contrôle exercé par les mutuelles sur les professionnels de santé membres des réseaux favorisent un accès à des soins de haute qualité pour un coût raisonnable, comme en témoignent d'ailleurs plusieurs études.
Enfin, conformément à l'engagement du Président de la République, retranscrit dans la loi relative à la sécurisation de l'emploi; après accord de la majorité des partenaires sociaux, la généralisation de la couverture complémentaire santé obligatoire devrait être instituée d'ici à 2017, ce qui doit être salué. Néanmoins, je tiens ardemment à souligner qu'elle n'est qu'un premier pas.
En effet, l'amélioration de l'accès aux soins ne peut s'arrêter aux seuls salariés. Les étudiants, les chômeurs, les retraités ne doivent pas être oubliés, car, à terme, le risque est d'assister à l'avènement d'un système à trois vitesses dans lequel l'assurance maladie serait complétée par une couverture complémentaire, qui ne serait obligatoire que pour certains, tandis que les plus aisés opteraient pour une sur-complémentaire. In fine, ce serait une nette régression par rapport au modèle pensé après guerre.
Enjeu éminent de santé publique, mais plus substantiellement révélateur du progrès social au sein de notre société, l'amélioration de l'accès aux soins, ou le refus de l'inégalité devant la souffrance, doit rester unleitmotiv permanent.
C'est la raison pour laquelle j'ai souvent défini, à titre personnel, la sécurité sociale comme le droit à ne pas courber l'échine. Je n'ai pas toujours été compris. J'explique alors que c'est en Corrèze, lors de ma jeunesse, que j'ai vu deux pauvres voisins se courber jusqu'à terre après la visite de leur médecin pour le remercier de ne pas les avoir fait payer et d'avoir même participé à l'achat de médicaments en laissant sur la table de nuit de l'argent… Nous devons l'affirmer en permanence et c'est là le fond de notre débat futur : la sécurité sociale est ce qui sépare la charité du droit et la dignité de l'assistance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2008, 15,4 % de la population adulte déclarait avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois. Ces renoncements concernent en premier lieu les soins dentaires et optiques, pour lesquels la part des dépenses remboursées par l'assurance maladie obligatoire est plus faible. En effet, seuls 4 % des dépenses d'optique font l'objet d'un remboursement par la sécurité sociale, les complémentaires santé prenant en charge 66 % de ces dépenses, avec un reste à charge de 29 % en moyenne pour les ménages. Selon une étude consacrée au secteur de la distribution des lunettes, les marges bénéficiaires des opticiens s'élèveraient à 233 % ! En France, le prix de vente est 50 % plus élevé que dans les autres pays européens.
Cette situation n'est pas normale. En raison d'une prise en charge insuffisante des frais d'optique et malgré le bénéfice d'une mutuelle, certains patients sont dans l'impossibilité de s'équiper pour corriger leur handicap. De plus, ce surcoût n'est pas synonyme d'un service de meilleure qualité, comme le démontrent les sondages effectués à la demande de la Commission européenne en 2011.
Ainsi, les dépenses dans les secteurs de l'optique, du dentaire et de l'audioprothèse sont peu remboursées et les tarifs varient d'un territoire à un autre. Il est donc indispensable de réguler le système de santé dans ces secteurs. Il apparaît légitime, au nom de la solidarité, que les mutuelles soient en mesure de proposer à leurs adhérents de diminuer le reste à charge.
Nous devons réguler ce secteur et éviter ainsi une économie de la rente au bénéfice de certains professionnels qui ajustent leurs tarifs au niveau de remboursement.
Le texte que nous examinons aujourd'hui permettra de faciliter l'accès à des soins de qualité pour le plus grand nombre. En effet, son objectif est double.
D'une part, il vise à favoriser une régulation des coûts de santé en vue de maîtriser le reste à charge pour les ménages et le montant des cotisations des complémentaires santé, évitant ainsi des démutualisations.
D'autre part, il tend à améliorer la qualité de l'offre à travers les engagements pris par les professionnels de santé au sein des réseaux ainsi constitués.
Il s'agit, ici, de combler un vide juridique en sécurisant les réseaux de soins, qui existent depuis une vingtaine d'années, afin de rétablir une véritable égalité entre les organismes complémentaires par une modification du code de la mutualité. Ce texte permettra aux mutuelles de jouer pleinement leur rôle de régulateur du secteur en leur donnant la possibilité d'être des acteurs de la négociation entre l'offre et la demande de soins.
Par ailleurs, je rappelle que ce texte répond à une demande exprimée par plusieurs instances publiques : la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances, l'Inspection générale des affaires sociales et l'Autorité de la concurrence ont toutes plaidé pour l'ouverture à tous les organismes complémentaires de la possibilité de constituer des réseaux de soins.
La légalisation de ces réseaux de soins mis en place par les mutuelles fait également partie des engagements de campagne de François Hollande. Il est important pour le Président de la République de rétablir l'égalité entre les assurances et les mutuelles afin de favoriser les conditions d'un meilleur accès de tous à des soins de qualité et au meilleur coût. On ne peut que s'en féliciter. En effet, l'absence de régulation provoque des distorsions de prix significatives entre les mêmes prestations.
Cette régulation est nécessaire et urgente pour nos concitoyens, même si j'insiste sur le fait que la liberté de choix du professionnel de santé reste entière pour tout adhérent d'une mutuelle. Quel que soit le professionnel choisi, au sein d'un réseau ou non, l'assuré conserve le remboursement de sa mutuelle, mais il pourra être mieux remboursé s'il accepte de se rendre chez un professionnel conventionné par sa mutuelle. Tous les professionnels peuvent entrer dans les réseaux de soins. Contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas réservés aux grandes enseignes et ne défavorisent pas les petits opticiens indépendants, à condition qu'ils remplissent des critères de prix et de qualité.
Le conventionnement assure en retour aux professionnels de santé un surcroît de patients. Il est primordial que tous les salariés puissent avoir une mutuelle. Il était important que ce texte soit présenté au plus vite au Parlement, car la loi relative à la sécurisation de l'emploi, votée dernièrement, prévoit l'obligation pour les entreprises de garantir une mutuelle à leurs salariés. Actuellement, des négociations sont en cours dans ce sens entre les différentes branches professionnelles. Les entreprises seront libres de retenir le ou les organismes de leur choix.
Ainsi, avec l'adoption de l'accord national interprofessionnel, on risque de voir des entreprises se diriger vers les organismes de prévoyance ou vers les compagnies régies par le code des assurances, pour qui la mise en place de réseaux de soins est déjà effective. Cette situation serait défavorable aux mutuelles, qui se trouveraient fortement pénalisées. Celles-ci ne doivent pas être injustement écartées du dispositif. Le texte qui nous est présenté aujourd'hui apparaît donc comme une nécessité ; il permettra aussi d'améliorer le fonctionnement des réseaux, quels que soient leurs statuts, mutualistes ou non.
Je me réjouis de ce texte, car il va directement changer le quotidien de nos concitoyens, notamment de ceux qui renoncent à se soigner parce qu'ils n'ont pas assez d'argent. Il doit permettre l'accès de tous à une santé de qualité.
Il est donc juste que le législateur autorise la régulation des prix pratiqués. Nous ne devons pas tomber dans un débat qui oppose la logique économique à une logique de santé et d'accès aux soins. Il y a eu déjà beaucoup trop de dérives et il est de notre responsabilité de poser des règles et des principes.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l'article L. 112-1 du code de la mutualité est complété par les mots : « ou lorsque l'assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu une convention dans les conditions mentionnées à l'article L. 863-8 du code de la sécurité sociale ».
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. L'article 1er, qui constitue à lui seul l'objet de cette proposition de loi, nous contraint à deux options qui ne sont pas véritablement des choix.
Soit nous adoptons cette proposition de loi, au motif que les moyens à mettre en œuvre importent peu, tant que le reste à charge des patients diminue.
Soit nous nous prononçons contre son adoption, et nous continuons de fait à accepter les difficultés de nombre de nos concitoyens à se faire soigner par un chirurgien-dentiste, à s'équiper de lunettes ou d'audioprothèses.
L'application de l'article 40 de la Constitution nous prive d'un débat alternatif puisqu'il nous est impossible d'amender cette proposition de loi afin de renforcer la participation de notre système de protection sociale dans les domaines principalement visés par ce texte, à savoir les soins dentaires, l'optique ou l'audioprothèse, dans lesquels, reconnaissons-le, les remboursements par la sécurité sociale sont particulièrement faibles. Alors que nous constatons toutes et tous cette carence, je m'étonne d'ailleurs que nous nous retrouvions aujourd'hui à débattre d'une proposition de loi qui désarme encore un peu plus l'État et la protection sociale au bénéfice d'opérateurs économiques privés.
Pourtant, Mme la rapporteur du texte à l'Assemblée nationale a été claire lorsqu'elle affirma : « Cette situation, qui est de fait celle d'un système de santé à plusieurs vitesses, est responsable du maintien, voire du creusement des inégalités dans l'accès aux soins, et génère des comportements de renoncement à certains soins pour des raisons financières. »
Hélas, pour résoudre cette inégalité sociale – c'est bien de cela qu'il s'agit –, on nous propose de combattre la protection sociale obligatoire à deux vitesses, non pas en remédiant à cette situation, mais en proposant de transposer cette situation à la protection sociale complémentaire. Car, soyons clairs, nos concitoyennes et concitoyens les plus modestes, ceux par exemple qui sont assujettis à la CMU et à la CMU-C, dont plus de 33 % ont déjà renoncé aux soins pour des raisons financières, et qui sont de fait parmi les plus nombreux à renoncer aux soins, ne seront pas demain mieux remboursés qu'ils ne l'étaient hier, et ne bénéficieront d'aucun accès facilité aux soins.
Les personnes âgées ou en situation de handicap, qui peinent à se déplacer et dont les frais de santé sont parmi les plus importants, s'ils ne peuvent s'inscrire dans un réseau de soins en raison de leur manque de mobilité, seront discriminés par rapport aux autres adhérents qui n'ont, eux, pas de difficulté à se déplacer.
Quant à celles et ceux qui ne peuvent pas souscrire une mutuelle, faute de moyens suffisants, mais ne sont pas bénéficiaires pour autant de la CMU, l'adoption de cette loi n'améliorera en rien leur accès aux soins.
En effet, pour ces derniers et, d'une manière générale, pour tous nos concitoyens, la seule manière efficace de réduire les inégalités territoriales et sociales en matière de santé réside dans le renforcement de notre système de protection sociale.
J'ai bien compris, en commission et aujourd'hui encore, que cet objectif était partagé au-delà des rangs du groupe CRC. Je me réjouis que nous partagions ainsi les mêmes valeurs. Mais cela ne suffit pas, mes chers collègues. Où sont les actes communs ?
Comment interpréter le fait que, comme sous le précédent quinquennat, les 30 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales consenties aux employeurs perdurent ?
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lors de mon intervention générale, l'ANI, madame la ministre, a encore appauvri la sécurité sociale de 2,5 milliards d'euros, dans le but précisément de renforcer le développement des contrats complémentaires, comme s'il fallait, pour permettre le développement de tels contrats, affaiblir le seul régime solidaire et universel qui existe, la sécurité sociale.
Et aujourd'hui, plutôt que de renforcer la sécurité sociale, plutôt que de rassurer nos concitoyens sur sa place dans les années à venir, nous renforçons les complémentaires.
Tout cela nous inquiète pour l'avenir, puisque nous n'ignorons rien de la tentation que certains nourrissent de substituer progressivement les mutuelles à la sécurité sociale, et de transférer le financement de celle-ci des richesses produites par le travail à la consommation, au moyen d'une augmentation de la CSG ou de la TVA.
Il suffit d'ailleurs de lire avec attention le rapport de l'Assemblée nationale pour s'apercevoir que cette proposition de loi pourrait n'être qu'une étape.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que, dès aujourd'hui, le groupe CRC réaffirme que seul l'élargissement du périmètre et du niveau de remboursement des soins par la sécurité sociale est de nature à réduire efficacement et solidairement le reste à charge que supportent actuellement nos concitoyens. Nous devons avoir le courage d'avancer ensemble dans cette voie. Or c'est précisément le chemin inverse que l'on nous propose malheureusement d'emprunter au travers de cet article.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l'article.
M. Philippe Bas. Mes chers collègues, je me prononcerai en faveur de cet article 1er, tout en assortissant mon vote d'une réserve.
J'estime en effet que les dépenses de santé qui ne sont que faiblement remboursées par l'assurance maladie doivent elles aussi faire l'objet d'une régulation, et que celle-ci ne pourra pas être le fait de l'assurance maladie elle-même.
Cette régulation me semble nécessaire, tout d'abord, pour maîtriser la dépense, ensuite, pour maintenir la qualité des soins, sur laquelle il convient d'être exigeant – ce sera l'objet de ma réserve –, enfin, pour permettre un meilleur accès aux soins dans des domaines où il est rendu plus difficile par le niveau des remboursements de l'assurance maladie.
La situation actuelle, qui se caractérise par une distinction ne reposant sur aucune justification d'intérêt public entre, d'une part, les institutions de prévoyance et les sociétés d'assurance et, d'autre part, les mutuelles, ne doit pas perdurer après l'arrêt de la Cour de cassation cité notamment par Alain Milon.
J'estime donc que tous les assureurs complémentaires doivent être traités de la même façon et qu'il faut encourager les mutuelles, qui participent de façon substantielle au remboursement des soins, à adopter un comportement de régulateurs, et non de payeurs aveugles.
Il m'apparaît toutefois extrêmement important – c'est la réserve que je voulais formuler – que les pouvoirs publics ne se désintéressent pas du contenu des conventions qui pourraient être conclues avec les audioprothésistes, les opticiens ou les chirurgiens-dentistes.
Car le véritable écueil de ces réseaux, c'est naturellement la qualité des soins. Si la pression s'exerce exclusivement sur la baisse des prix, et non sur la hausse de la qualité, nous serons finalement perdants en termes de qualité des soins et d'accès aux soins.
Par conséquent, je soutiendrai très fermement l'amendement qui sera tout à l'heure présenté au nom du groupe UMP et qui prévoit que le contenu des conventions établissant ces réseaux sera déterminé par décret en Conseil d'État.
Hormis cette réserve, je soutiendrai dans son principe la mise en place de ces réseaux, et je voterai donc l'article 1er.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Barbier, Mézard, Bertrand, Collin et Requier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Barbier, Mézard, Bertrand, Collin et Requier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 112-1 du code de la mutualité est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, les mutuelles ou unions peuvent instaurer des différences de prestations pour l'optique, les audioprothèses ou les soins dentaires prothétiques lorsque l'assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé membre d'un réseau de soins ou avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu un contrat comportant des obligations en matière d'offre de soins. » 
Cet amendement n'est pas soutenu.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote sur l'article.
M. René-Paul Savary. J'ai été très sensible aux arguments de mon collègue Philippe Bas, et ce sont peu ou prou les mêmes raisons qui me conduiront, pour ma part, à ne pas voter l'article 1er.
L'alignement est une réalité, mais il me semble choquant que ce soit le secteur non marchand qui s'aligne sur le secteur marchand.
Comme Alain Milon l'a souligné, c'est la porte ouverte à des prestations à bas coût qui seront préjudiciables à la qualité du service rendu, sans compter que les patients et les prestataires seront davantage captifs qu'aujourd'hui.
De surcroît, dès que l'on ouvre une brèche, certains sont toujours très prompts à s'y engouffrer.
Ainsi, dans le domaine de l'audition, de nouveaux matériels se développent à destination des personnes dont l'acuité auditive commence à diminuer, avant même que l'on puisse parler de réelle pathologie : il s'agit des assistants d'écoute auditive, commercialisés notamment par Sonalto, dont le marché est estimé à plus de 1 milliard d'euros. La presse s'est récemment fait l'écho de ces dispositifs, dont le coût avoisine les 300 euros, contre 1 500 à 1 800 euros pour une vraie prothèse auditive. Les réseaux seront peut-être tentés de favoriser ce type de matériel moins onéreux, dont la vocation est avant tout médico-sociale, alors que les prothèses ont véritablement vocation à traiter médicalement les problèmes de diminution de l'audition.

(À suivre)


Source: site internet du Sénat